History

Au nom de l’humanité : 75 ans depuis la proclamation de la Déclaration universelle des droits de l’homme

Le 10 décembre 1948, les Nations unies adoptaient un document prometteur énonçant les fondements des droits de la personne et de la dignité humaine. Mais qui était le Canadien qui a contribué à la réalisation de ce document ?

  • Published Dec 13, 2023
  • Updated Jul 02, 2024
  • 1,246 words
  • 5 minutes
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À un bout de table lors de la première réunion de la Commission des droits de l'homme du Conseil économique et social des Nations Unies, de gauche à droite : Mme Franklin D. Roosevelt, États-Unis, présidente ; le professeur John P. Humphrey, Canada, directeur de la division des droits de l'homme du département des affaires sociales de l'ONU et secrétaire de la Commission ; le Dr Charles Malik, Liban, rapporteur ; Charles Dukes, Royaume-Uni ; Valentin F. Topliakov, URSS, et le général Carlos P. Romulo, République des Philippines. (Photo: UN Photo)
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Cet article s’inscrit dans le cadre de Commémorer le Canada, un programme de Patrimoine canadien visant à souligner des moments historiques importants pour les Canadiens. Il donne à Canadian Geographic l’occasion de jeter un regard parfois enthousiaste, parfois critique, sur ces moments de l’histoire.

John Humphrey est un enfant qui a joué avec le feu.

Ses brûlures lui ont valu d’être amputé du bras gauche.

Né à Hampton, au Nouveau-Brunswick, en 1905, John Humphreys perd ses deux parents à l’âge de 11 ans, emportés par le cancer. La tragédie le suivra également à l’école, où il sera victime d’intimidation.

« Établir un lien entre ses premières expériences et ses réalisations d’adulte relève de la spéculation psychologique, » explique Clint Curle, auteur de Humanité : John Humphrey’s Alternative Account of Human Rights (Humanité : la position alternative de John Humphrey sur les droits de l’homme). « Néanmoins, je soupçonne qu’il s’opposerait fermement à la suggestion que le projet des droits de l’homme était, et est, d’une certaine manière, ancré dans son propre passé personnel. »  

Mme Eleanor Roosevelt des États-Unis tenant une affiche de la Déclaration des droits de l'homme en anglais. (Photo: UN Photo)
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Une chose reste claire : pendant une grande partie de sa vie, John Humphrey s’est consacré à l’inscription des droits de l’homme dans le droit international, dont les normes transcenderaient toutes les idéologies politiques et sociétales.

Ses contributions, dont la plus célèbre est le rôle qu’il a joué dans la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme (DUDH) de 1948, se sont révélées être un combat difficile à bien des égards. La DUDH n’a pas non plus toujours été à la hauteur de ses aspirations au cours des années et des décennies qui ont suivi. Mais c’était un bon début.

Pour Humphrey, le voyage a commencé dans les années 1920, lorsqu’il s’est inscrit à l’université McGill de Montréal, où il a obtenu une licence en commerce en 1925, une licence en lettres en 1927 et une licence en droit en 1929.

Il obtient ensuite une bourse pour étudier à Paris. Au cours du voyage, Humphrey rencontre sa future épouse, Jeanne Godreau, qu’il épouse peu après son arrivée en France. C’est également à l’étranger qu’il aurait nourri sa passion pour le droit international.

De retour au Canada, Humphrey poursuit ses études supérieures et, en 1937, il accepte un poste d’enseignant dans son ancienne alma mater. C’est là, au début des années 1940, qu’il rencontre Henri Laugier, un réfugié français engagé dans la France libre, un mouvement de résistance qui s’est constitué au lendemain de l’invasion de l’Europe continentale par les nazis. Leur relation de travail et leur respect mutuel auront un jour une influence considérable sur la création de la DUDH. 

À l’époque, cependant, de telles aspirations semblaient lointaines au milieu d’une guerre calamiteuse.

Le professeur John P. Humphrey, directeur de la division des droits de l'homme du département des affaires sociales des Nations unies.(Photo: UN Photo/Kari Berggrav)
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« Dans le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme, note Jeremy Maron, du Musée canadien des droits de l’homme, il est question des atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Il les qualifie d’actes de barbarie qui ont révolté la conscience de l’humanité, soulignant ainsi la nécessité d’une norme internationale en matière de droits de l’homme et de conception de la dignité humaine. »

« Bien entendu, ces concepts ne sont pas apparus soudainement entre 1945 et 1948. […] Mais ce sont les horreurs de la guerre, y compris l’Holocauste […] qui ont été à l’origine de la rédaction de la DUDH ». 

Le potentiel de ce projet avait effectivement pris de l’ampleur en 1946, lorsque Henri Laugier – devenu secrétaire général adjoint des Nations unies – a proposé à son vieil ami John Humphrey un nouveau poste : celui de premier directeur de la division des droits de l’homme des Nations unies.

Humphrey a accepté ce rôle et a finalement été chargé de rédiger la toute première version de la DUDH. Mais il n’a pas été le seul à déployer des efforts remarquables.

« Selon Humphrey, un cercle central de personnes a travaillé ensemble pour donner vie à la déclaration, explique M. Curle. Il s’agissait d’Eleanor Roosevelt [ancienne première dame des États-Unis, présidente de la commission des droits de l’homme des Nations unies et représentante des États-Unis], de René Cassin [représentant de la France], de Charles Malik [représentant du Liban] et de P.C. Chang [représentant de la Chine]. Beaucoup d’autres personnes étaient impliquées dans le cercle élargi, mais ce petit noyau, dont Humphrey faisait partie, était vraiment au diapason tout au long du processus de rédaction. »

La DUDH témoigne aujourd’hui de leur réussite commune. À travers plusieurs versions et lectures, la commission a créé un document mondialement reconnu qui jette les bases de la dignité et des droits de l’homme.

Portrait de M. John P. Humphrey, directeur de la Division des droits de l'homme du Département des affaires économiques et sociales. (Photo: UN Photo/JO)
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Le chemin était semé d’obstacles. L’un d’entre eux était la prépondérance des pays occidentaux riches parmi les membres des Nations unies (à la fin des années 1940, l’organisation comptait moins de pays d’autres régions du monde). En d’autres termes, tout le monde n’avait pas sa place à la table des négociations. Mais même avec cette composition plus limitée, la recherche d’un compromis s’est avérée être une tâche herculéenne pour la Commission des droits de l’homme des Nations unies.

« Lors d’un des votes à l’Assemblée générale, le Canada s’est abstenu, note M. Curle. L’Association du Barreau canadien faisait pression sur le gouvernement fédéral pour qu’il ne signe pas la convention, estimant que certaines de ses dispositions étaient de nature communiste […] Bien entendu, John Humphrey s’est emporté. »  

Finalement, après avoir trouvé le juste milieu entre la conciliation des États-nations et le maintien des objectifs de la déclaration, la DUDH a été adoptée lors de l’Assemblée générale des Nations unies qui s’est tenue à Paris le 10 décembre 1948. Le document ratifié énonce les droits inaliénables de tous les êtres humains, indépendamment de leur race, de leur couleur, de leurs croyances religieuses, de leur sexe, de leur langue et d’autres considérations essentielles.

John Humphrey, ainsi que tous les rédacteurs, ont accompli un exploit extraordinaire en créant la DUDH qui a ensuite été acceptée sur la scène mondiale.

Un bon début, certes, mais un début tout de même.

« La DUDH a été conçue comme un élément d’une Charte internationale des droits de l’homme plus large qui comprendrait des obligations juridiquement contraignantes, explique Jeremy Maron. La DUDH n’est donc pas un document juridiquement contraignant ; c’est un document d’aspiration […] le retard [dans l’adoption de la Charte internationale des droits de l’homme] est dû au fait que ces pactes comporteraient des mécanismes juridiquement contraignants auxquels les pays signataires devraient répondre en rendant compte régulièrement de leur respect des droits civils, politiques, sociaux, économiques et culturels. »

Ce n’est qu’en 1966 que les Nations unies ont transformé les idéaux de la DUDH en loi, en adoptant la Charte internationale des droits de l’homme, y compris ses pactes essentiels. La même année, après deux décennies de service, John Humphrey s’est retiré des Nations unies pour reprendre sa carrière d’enseignant à l’université McGill, alors qu’il est resté actif dans la promotion des droits de l’homme jusqu’à sa mort en 1995, à l’âge de 89 ans.

Par la suite, M. Humphrey a représenté les femmes coréennes réduites en esclavage sexuel par les soldats japonais pendant la Seconde Guerre mondiale — et les anciens prisonniers de guerre canadiens qui avaient subi des sévices dans les camps de prisonniers de guerre japonais. Il a également participé à la fondation d’Amnesty International Canada et a enquêté sur les violations des droits de l’homme aux Philippines sous le dictateur Ferdinand Marcos.

Mais son plus grand héritage a sans doute été, et demeure encore, son rôle dans la rédaction de la DUDH.

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