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History

La grande faucheuse

L’histoire méconnue de la grippe espagnole de 1918 et notre état de préparation à la prochaine grande pandémie
  • Jan 07, 2019
  • 3,647 words
  • 15 minutes
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Cela commence de façon bénigne par un nez qui coule et une toux. Ensuite la fièvre s’installe, les muscles et les articulations se mettent à faire mal, les saignements de nez apparaissent, les dents tombent, puis les cheveux. Une odeur pestilentielle se dégage. Les vomissements et la diarrhée sont courants, tout comme les délires. L’insupportable angoisse conduit certains malades à s’enlever la vie, tandis que d’autres, terrifiés, sont la proie d’affreux cauchemars.

La respiration devient difficile. Puis apparaissent les taches très redoutées de couleur acajou sur les joues. La peau prend une couleur rouge prune, que les médecins nomment  cyanose héliotrope, puis se met à foncer jusqu’à devenir noir pourpre, alors que les poumons se remplissent de fluides. Quand les bouts des doigts et des orteils noircissent, la partie est perdue. La fin survient rapidement. Le malade s’étouffe et se noie dans ses propres fluides corporels. 

C’est ainsi que tue la grippe espagnole.

La pandémie qui a frappé la planète de 1918 à 1919 a tué au moins 50 millions de personnes. C’est l’infection la plus funeste depuis la peste noire du XIVe siècle et celle qui a fauché des jeunes adultes en bonne santé de façon disproportionnée. Au Canada, plus de 50 000 personnes ont péri, soit à peu près le même nombre de Canadiens morts pendant les quatre années qu’a duré la Première Guerre mondiale. Cette pandémie a été l’évènement mondial le plus meurtrier du XXe siècle.

La plupart des victimes sont mortes pendant les 13 mois funestes qui ont commencé en septembre 1918. Ce fut un tsunami de morts qui ébranla les familles, les collectivités et les pays.

Alors que les effroyables contagions comme la peste noire ont frappé l’imagination et ont été représentées dans les arts, les écrits et les chants, la grippe espagnole est très vite sortie des esprits. C’est le fléau oublié. Le premier congrès international sur la pandémie, qui a célébré son 80e anniversaire au Cap, en Afrique du Sud, n’a attiré que 36 chercheurs.

« Les effets de la grippe se sont confondus à ceux de la guerre, explique l’historien Mark Osborne Humphries, de la chaire Dunkley sur la guerre et l’expérience canadienne à l’Université Wilfrid Laurier de Waterloo, en Ontario.

On reconnaît enfin aujourd’hui l’ampleur de cette tragédie et on en mesure les effets. La grippe espagnole est si profondément ancrée dans la culture populaire qu’elle fait partie de l’intrigue de grands feuilletons télévisés comme Downton Abbey et de la saga cinématographique américaine Twilight. Elle fait aussi l’objet de récents documentaires télévisés (dont la très attendue coproduction de Canadian Geographic), de plusieurs essais et d’une avalanche d’études savantes. Plusieurs expositions et évènements commémoratifs marqueront le centenaire de cette pandémie.

Une minutieuse enquête de détective sur les machinations internes du virus a récemment contribué à canaliser un effort mondial pour se préparer à la prochaine pandémie qui est inévitable. On a mis au point des plans de préparation aux niveaux provincial, national et international. On a stocké des médicaments. On surveille constamment, sur toute la planète, les virus grippaux saisonniers. Financés par le millionnaire et philanthrope Bill Gates, patron de Microsoft, certains des plus grands cerveaux du monde ?uvrent à élaborer un vaccin antigrippal universel.

Pourtant, nous levons à peine le voile sur la progression sans merci du virus de la grippe espagnole au Canada. Cent ans plus tard, nous continuons de nous interroger à son sujet. Pourquoi a-t-elle été si dévastatrice ? Qu’est-ce qui a changé ? Et surtout, comment sera la prochaine pandémie ?

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Le printemps 1918 a apporté son lot habituel de cas de grippe se déclarant ici et là. Des gens tombaient malades et plusieurs mouraient. Certains prenaient une couleur noir pourpre et avaient de la difficulté à respirer. Mais on ne s’est pas inquiété outre mesure. En rétrospective, il s’agissait de la première de trois vagues successives.

Tout entier tourné vers la guerre, le monde ne s’en est guère préoccupé. Au Canada, l’armée était le principal employeur, contrôlant la majeure partie des manufactures du pays et beaucoup d’hôpitaux. Tout autour du monde, les troupes et les ouvriers qui soutenaient la guerre se déplaçaient en grand nombre par terre et par mer, de l’Asie et de l’Amérique du Nord vers les tranchées et les champs de bataille d’Europe. Dans le but de soutenir l’effort de guerre, on censurait les nouvelles susceptibles d’affaiblir le moral ou de renseigner l’ennemi, dans la plupart des pays. Les moyens de communication de masse étaient limités. Au Canada, les téléphones étaient rares et la radio et la télévision, inexistantes.

Le gouvernement fédéral du Canada ne surveillait pas les foyers de maladie. L’influenza n’était pas une maladie à déclaration obligatoire au début de la pandémie. De fait, les médecins n’utilisaient guère le terme influenza à l’époque; ils parlaient plutôt de catarrhes ou de bronchites purulentes. Beaucoup de médecins et d’infirmières participant à la guerre se trouvaient alors à l’extérieur du pays. Le Canada n’avait même pas de ministère de la santé. Les élus fédéraux qui auraient pu tirer la sonnette d’alarme n’étaient pas réunis à Ottawa au moment où la pandémie atteignait son apogée : le parlement avait siégé vers la fin de mai, cette année-là, et ne s’était pas réuni avant la fin février 1919, alors que la pandémie arrivait à son terme.

C’est le 28 mai 1918 que les Canadiens ont eu les premiers indices de la catastrophe à venir : une nouvelle obtenue par câble en provenance d’Espagne, un des rares pays à ne pas censurer ses médias puisqu’il ne participait pas à la guerre. La Presse canadienne rapportait que la grippe ou influenza qui avait touché Madrid paralysait les activités commerciales de la capitale espagnole et avait infecté environ 30 % des gens dans le reste du pays. L’article parlait d’une « maladie étrange ». 

En l’espace d’une semaine, les lecteurs du Toronto Star découvraient que 700 personnes étaient déjà mortes de ce qu’on appelait « la peste ». Le Times de Londres nommait cette maladie l’épidémie espagnole. Ce qualificatif est resté, non que l’épidémie ait commencé en Espagne mais parce que c’est dans ce pays qu’on en a d’abord parlé.

Un mois plus tard, lorsque le navire hôpital Araguaya d’Angleterre accosta au port d’Halifax, 23 % de ses passagers et membres d’équipage étaient malades de la grippe, écrit l’historien M. O. Humphries dans son livre publié en 2013 et intitulé The Last Plague: Spanish Influenza and the Politics of Public Health in Canada (La dernière peste : La grippe espagnole et les politiques de santé publique au Canada). Plutôt que d’agir sans tarder, les autorités fédérales ont tergiversé. Ce n’est que deux semaines plus tard que ce qu’on appela officiellement la « grippe espagnole » figurait dans la liste des « formes les plus graves de maladies quarantenaires » et qu’on prit des mesures pour isoler les malades du navire, rappelle l’historien. Mais on en était à la première vague. Le virus ne s’était pas encore propagé dans tout le pays. Le pire restait à venir.  

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Un navire-hôpital à Halifax le 29 juin 1917. (Bibliothèque et Archives Canada. PA-023007)

Les virus de la grippe sont des magiciens. Ils se remodèlent sans cesse et trouvent de nouvelles façons diaboliques de se disséminer en gardant toujours une longueur d’avance sur le système immunitaire de la victime. Il existe trois types de grippe pouvant infecter les humains (A, B et C), mais seul le type A peut causer des pandémies. Les virus de la grippe vivent aussi sur les oiseaux et les mammifères. Par définition, une pandémie de grippe commence chez un animal, normalement des oiseaux aquatiques ou des cochons. Le virus s’échappe de son hôte aviaire ou porcin, saute sur une personne et se transforme en un virus humain soit en volant des gènes à un virus humain existant ou par mutation. Comme il s’agit d’un nouveau virus, nous ne possédons aucune immunité.  

La nouveauté du virus ne suffit pas à le rendre dangereux, explique le « gourou de la grippe » Arnold Monto, professeur d’épidémiologie et de la santé publique dans le monde à l’Université du Michigan à Ann Arbor. Pour créer les conditions favorables à une pandémie, ce nouveau virus doit aussi se propager facilement, rendre gravement malade et causer la mort.

Les virus réussissent malheureusement très bien à ce jeu depuis plus de 500 ans. En remontant dans le temps, des chercheurs en médecine ont recensé des pandémies de grippe au moins dès le Moyen-Âge et peut-être avant. Les données qu’ils ont recueillies font croire à l’occurrence d’au moins 14 pandémies de grippe depuis 1500, dont trois depuis 1918. La plus récente, en 2009, a vu le jour au Mexique, surprenant ainsi les scientifiques qui s’attendaient à son émergence en Asie, raconte Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada. « Plus on découvre de choses sur les virus de la grippe et moins on les connaît », ajoute-t-elle.

Une chose est sûre : les trois pandémies survenues après 1918, et presque tous les cas modernes saisonniers d’influenza A dans le monde sont issus de cette terrible mutation de 1918. Mais aucune de ces versions ultérieures n’égale le virus original par sa fulgurance, écrit Jeffery K. Taubenberger, chef de la parthénogenèse et de l’évolution des virus aux National Institutes of Health des États-Unis, qui a contribué à la séquence du génome puis à la reconstitution du virus lui-même. On ne sait pas d’où précisément provient le virus de 1918; il existe plusieurs théories à ce sujet, notamment le Midwest américain, la Chine, ou encore un camp militaire en France. Mais chose certaine, il a rendu cliniquement malade le tiers de la population mondiale d’alors, soit environ un demi-milliard d’êtres humains.  

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Les historiens ont cru un moment que le virus était arrivé au pays avec les troupes revenant des champs de bataille européens. Le minutieux travail de détective qu’a effectué l’historien Humphries ne va pas dans ce sens. En effet, les troupes revenant au pays ont été bloquées en Europe de juillet à la fin septembre 1918 de crainte que leurs navires ne soient attaqués par les sous-marins allemands. Quand les soldats ont commencé à arriver au pays, en octobre, la deuxième vague de la pandémie s’était propagée d’un océan à l’autre. Et lorsque la majorité des militaires sont revenus après l’armistice du 11 novembre, la maladie faisait déjà rage.

La deuxième vague de la pandémie fit son apparition subrepticement au Canada à partir de la frontière américaine le jour fatidique du vendredi 13 septembre 1918, faisant des victimes  en deux sites. En quelques jours, on nota deux nouvelles incursions, puis l’infection se propagea de l’Ontario à la Nouvelle-Écosse, avant de se renforcer et de s’étendre dans tout le pays.   

Le virus arriva le 13 septembre à un camp d’entraînement militaire à Niagara-on-the-Lake, en Ontario, avec des soldats polonais recrutés aux États-Unis pour s’enrôler dans l’armée française.

Le même jour, des paroissiens et des membres du clergé catholique en provenance des États-Unis arrivèrent à Victoriaville, à l’est de Montréal pour assister, pendant une fin de semaine, à un immense congrès qui attira plus de 25 000 participants. Le lundi, quelques heures après la fin du congrès, mouraient des prêtres et des élèves du collège Sacré-C?ur, un pensionnat de Victoriaville où s’étaient tenues quelques réunions. Les élèves en état de voyager furent renvoyés chez eux, avec le virus, dans toute la province.  

Quatre jours plus tard, les premiers soldats canadiens atteints de la grippe commencèrent à se présenter à l’hôpital militaire de Saint-Jean, au Québec, vraisemblablement infectés par les recrues de Boston, où la pandémie battait son plein. De Saint-Jean, le virus se transmit rapidement à Montréal, y provoquant des morts en cascades. Le dimanche 22 septembre, la grippe accosta à Sydney, en Nouvelle-Écosse, avec 500 soldats américains terriblement mal en point dont le navire en route pour la France dût interrompre son voyage pour raisons médicales.  

De ces quatre points stratégiques, la seconde vague du virus s’étendit inexorablement dans tout le pays à la faveur des voyages en train d’est en ouest.

Les troupes canadiennes du Corps expéditionnaire sibérien (CES), qui se rendaient en Russie pour soutenir les interventions alliées sur le front Est, ont largement contribué à la dissémination de l’infection. À la fin de septembre, à peine deux semaines après l’arrivée du virus au Canada, les recrues du CES quittaient leur camp de Sussex au Nouveau-Brunswick pour se rendre à Vancouver en train, et de là en Russie par mer. Le même jour, des cas de grippe se déclarèrent au camp. Quand le train arriva à Montréal, plusieurs soldats très malades durent être hospitalisés. La même situation se reproduisit à Winnipeg, à Calgary et à Vancouver.

« Comme une armée d’envahisseurs ravageant le pays, les recrues du Corps expéditionnaire sibérien disséminèrent la maladie dans les villes qu’ils traversaient durant leur voyage vers l’ouest » écrit M. O. Humphries.

Le mercredi 2 octobre, 19 jours après son entrée à l’est du Canada, la « Dame espagnole » avait atteint la côte Ouest. À la mi-octobre, la maladie semait la désolation au Canada, tout comme dans d’autres parties du monde. Halifax comptait alors 500 cas et Montréal, 20 000, selon les grands titres du Halifax Herald. En peu de temps, Ottawa connut 600 nouveaux cas. On dénombrait plus de 25 000 malades à New York et on enterrait 140 personnes en un seul jour au Cap, en Afrique du Sud.

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Les Autochtones de certaines collectivités isolées du Nord canadien mouraient en si grand nombre qu’il ne restait plus personne pour creuser les tombes. Le village inuit d’Okak perdit tant d’habitants que le site fut abandonné. (Photo : View of Okak 1902. Archives and Special Collections (Coll. 345 1.01.017), Queen Elizabeth II Library, Memorial University of Newfoundland.)

Les canadiens peinèrent à réagir. Il n’existait ni traitement ni cure. Les antibiotiques pour vaincre la pneumonie bactérienne fatale que causait la grippe ne seraient inventés qu’une décennie plus tard. Même l’aspirine, qui combat la fièvre efficacement, n’était pas d’usage courant. On comprenait mal le principe des vaccins, et ceux qui existaient étaient inefficaces. Il faudrait encore 15 ans pour que les virologues isolent un virus de la grippe humaine et n’en fassent la culture en laboratoire et encore plus de temps pour qu’ils ne découvrent comment évolue un virus si foudroyant.

Les gens s’en remettaient aux remèdes de grands-mères et aux superstitions. Certains portaient des sacs de coton remplis de camphre ou de boules de naphtaline autour du cou, indique la journaliste Eileen Pettigrew, qui a interrogé des survivants et dépouillé les journaux d’époque pour rédiger son livre publié en 1983 et intitulé The Silent Enemy: Canada and the Deadly Flu of 1918 (L’ennemi silencieux : Le Canada et la grippe meurtrière de 1918).

« Les gens mettaient tous leurs espoirs dans la tisane de feuilles de violette, les cataplasmes de graisse d’oie, l’huile de castor, l’eau salée que l’on inspirait par le nez, ou les charbons brûlants que l’on saupoudrait de soufre ou de cassonade et que l’on promenait dans la maison pour y disperser les volutes de fumée », explique-t-elle. Chez les Premières Nations de l’Alberta et de la Saskatchewan, on recourait au gingembre sauvage et à l’écorce de liard, de viorne et de peuplier.

Dans certains cas, les autorités et les citoyens prirent des mesures, par exemple fermer les écoles et suspendre les services religieux, les spectacles et les réunions publiques. À Halifax, pendant un certain temps, on placardait des affiches sur les maisons des victimes pour avertir de la présence de grippe. Annonçant leur approche par clairon ou cloche, les prêtres de Montréal administraient les derniers sacrements dans la rue et donnaient la communion aux citoyens sur le pas de leur porte. À Toronto, on réquisitionnait des hôtels pour en faire des infirmeries de fortune. La loi obligeait les habitants de Calgary à porter un masque facial. La ville albertaine de Lethbridge s’était, elle-même, mise en quarantaine. Le long de la voie de chemin de fer du Canadien Pacifique, 45 villes empêchaient les trains d’arrêter. 

Mais en d’autres endroits, les autorités restèrent les bras croisés. Le 5 octobre, T. J. Minnes, président du conseil de la santé à Brantford, en Ontario, minimisa la férocité du virus et refusa de mettre en ?uvre les mesures préconisées par le médecin-hygiéniste. Quatre jours plus tard, il déclarait que la grippe espagnole avait évité sa ville. Pourtant, au même moment, l’hôpital refusait des patients et un médecin était mort. La semaine suivante, on dénombrait 2500 cas de grippe à Brantford et le médecin-hygiéniste, frustré, démissionna.

Le médecin-hygiéniste de Saskatoon, Arthur Wilson, se montra également négligeant, prétendant que la presse exagérait l’importance de la grippe — bel exemple de « fausses nouvelles »  avant l’heure.

Davantage préoccupée par l’effort de guerre, l’armée continua d’organiser des évènements publics à Winnipeg pour remonter le moral à une population lasse de la guerre. Des officiers envoyèrent à Montréal des soldats de la caserne de Saint-Jean pour assister aux funérailles du lieutenant-gouverneur du Québec, alors même que cette caserne était en quarantaine.  

Pendant ce temps, les Autochtones de certaines collectivités isolées du Nord canadien mouraient en si grand nombre qu’il ne restait plus personne pour creuser les tombes. Le village inuit d’Okak perdit tant d’habitants que le site fut abandonné. Bien que la mortalité ait été élevée partout, les Autochtones du Canada vivant dans des réserves étaient cinq fois plus nombreux à périr que les Canadiens dans leur ensemble, selon un rapport publié par le gouvernement fédéral en 1919.

« On met beaucoup l’accent sur le virus lui-même, mais je ne crois pas qu’on puisse expliquer ce qui est arrivé en 1918 sans prendre en considération le contexte social de l’époque », déclare l’historienne et anthropologue Kandace Bogaert, détentrice de la bourse Cleghorn en guerre et société de l’Université Wilfrid Laurier de Waterloo, en Ontario. Parmi les raisons qui expliquent la virulence de la deuxième vague, elle cite le déplacement de millions de personnes d’un bout à l’autre du globe pour la guerre, la promiscuité qu’imposaient les conditions de vie de l’époque, les inégalités et même le retour des enfants à l’école à l’automne.

En décembre, la deuxième vague finit par s’estomper. Une troisième vague, moins violente se répandit dans tout le Canada et d’autres parties du monde au début de 1919. Elle frappa l’équipe de hockey des Canadiens de Montréal avec tant de force en avril pendant la finale de la coupe Stanley qu’on annula les parties avec les Metropolitans de Seattle et qu’on n’octroya pas de coupe cette année-là. Le joueur de défense Joe Hall décéda de la grippe à l’hôpital de Seattle le 5 avril.

Entre la guerre et les trois vagues de grippe espagnole, les gens étaient abasourdis. Un survivant confia à Eileen Pettigrew : « La détresse était si grande que l’on n’avait plus la force de pleurer. »

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Cent ans plus tard, les autorités sanitaires du monde entier considèrent qu’une nouvelle pandémie est inévitable, déclare Theresa Tam, administratrice en chef de la santé publique du Canada.

Sera-t-elle aussi meurtrière au Canada ? Ou dans le reste du monde ? Personne ne le sait. Ce qui est sûr, c’est que beaucoup de choses se sont améliorées en un siècle. À l’époque, les gens étaient en moins bonne santé qu’aujourd’hui et mouraient, au Canada, en moyenne 22 ans plus tôt. D’autres maladies infectieuses courantes, comme la tuberculose, ont aussi contribué à diminuer la résistance à la pandémie.

Au lieu de masques faciaux et de graisse d’oie, nous disposons maintenant d’antibiotiques, de vaccins antigrippaux, d’antiviraux et de la ventilation mécanique. Le très attendu vaccin antigrippal universel pourrait voir le jour dans les prochaines années, selon le gourou de la grippe Arnold Monto. Et, grâce justement à la pandémie, notre attitude face à la santé a évolué : en 1918, la santé était une responsabilité personnelle et locale; de nos jours, elle est collective, explique M. O. Humphries.

Il en est résulté une infrastructure de santé publique, des soins hospitaliers et une planification minutieuse face à une pandémie mondiale. Les chercheurs du monde entier, dont ceux du Laboratoire national de microbiologie situé à Winnipeg, étudient constamment les virus de la grippe au fur et à mesure de leur apparition et ne manquent pas de signaler tout éventuel problème, selon Theresa Tam. Il s’agit d’un système d’alerte précoce à l’échelle de la planète.

Quand le virus de la prochaine pandémie émergera, les laboratoires seront en mesure de séquencer son génome rapidement et d’évaluer sa dangerosité. Au Canada, ces informations déclencheront une campagne d’information pour transmettre aux Canadiens les mesures à observer. On est bien loin de la censure des médias en temps de guerre et de la propagande criante de 1918.

Pourtant, les changements que le monde a connus pourraient aussi favoriser la dissémination du virus de la grippe. On compte aujourd’hui beaucoup plus de personnes à infecter sur Terre — environ 7,6 milliards en comparaison avec le 1,5 milliard en 1918. On dénombre aussi plus de gens âgés et vulnérables. Comme nous sommes nombreux à voyager rapidement en avion, il existe de grandes avenues de dispersion des maladies, comme nous l’avons d’ailleurs constaté en 2003 avec le syndrome respiratoire aigu sévère, ou coronavirus SRAS, et en 2009, avec la dernière pandémie de grippe. « Nous devons nous montrer aussi adaptables que le virus de la grippe », précise Theresa Tam.

Mais on étudie encore les répercussions de cette pandémie tombée dans l’oubli. Les morts de la guerre et des trois vagues de grippe ont décimé toute une génération de Canadiens et produit une véritable « catastrophe » démographique, selon M. O. Humphries.

Qu’est-ce que cela signifie pour le Canada ? Voilà le projet que Kandace Bogaert de l’Université Wilfrid Laurier se réjouit d’entreprendre. Maintenant que les documents datant de plus d’un siècle sont numérisés et accessibles au public, la chercheure peut mesurer à quel point les pertes intimes des familles se sont répercutées sur les générations suivantes et dans la mémoire culturelle du Canada.

La grippe espagnole nous a beaucoup renseignés mais garde encore bien des secrets.

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