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Le premier parc urbain national du Canada

C’est un projet ambitieux : reprendre le concept traditionnel de nature sauvage de Parcs Canada et l’implanter dans la plus grande ville du pays. Mais le parc urbain national de la Rouge à Toronto peut-il contribuer à concilier vie urbaine et faune ?

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Andy McKinnon nous ouvre la voie à travers les broussailles herbeuses en direction d’un étang lorsqu’un raton laveur apparaît devant nous. Nous sommes à quelques dizaines de mètres à l’intérieur de la limite est de Toronto, ce qui en fait un raton laveur urbain, mais il n’en a ni l’apparence ni le comportement. Cet animal est mince, sans le dandinement caractéristique des restes de lasagnes. Il n’a pas non plus l’audace, habituée aux humains, de ses cousins ​​urbains ; en fait, il ne veut même pas nous approcher et se faufile le long d’un arbre tombé avant de disparaître dans les roseaux du rivage.

Carte : Chris Brackley/Canadian Geographic. Crédits des données : Mosaïque d'images satellite © Neptis Foundation, basée sur les données de la zone urbaine de 2010; limite du parc de la Rouge tirée du Guide du visiteur du parc de la Rouge, 2010; zone d'étude de Parcs Canada tirée de la carte « Zone d'étude à l'étude de Parcs Canada », mai 2012; données sur la moraine d'Oak Ridges et les municipalités de palier inférieur sous licence du ministère des Richesses naturelles de l'Ontario © Queens Printer 2013; limite de la ceinture de verdure fournie par le ministère des Affaires municipales et du Logement de l'Ontario.
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Lorsque l’étang apparaît, nous apercevons deux cygnes trompettes d’un blanc éclatant près de la rive opposée. McKinnon explique que le couple niche ici depuis quelques années, mais que les prédateurs et les inondations ont détruit leurs trois dernières couvées. Si quelqu’un connaît les habitudes de reproduction et l’histoire des cygnes du parc de la Rouge, cette étendue de 47 kilomètres carrés de forêts et de champs qui s’étend du lac Ontario vers le nord jusqu’à la région de York, la municipalité située au nord de Toronto, c’est bien McKinnon. Bien qu’il travaille pour une société d’études de marché, ce naturaliste amateur – qui porte aujourd’hui un chapeau de soleil camouflage, un étui pour appareil photo et un sac à dos, ainsi qu’un pantalon cargo beige, de lourdes bottes et un t-shirt orné d’un dessin détaillé d’une limace – visite le parc de la Rouge environ quatre fois par semaine depuis sa maison de Pickering, à quelques kilomètres à l’est.

Lors de ma demi-douzaine de visites au parc avec McKinnon, nous avons visité des zones humides naturelles et celles aménagées par des excavatrices. Nous avons longé routes, voies ferrées, rivières et sentiers, traversant des forêts d’érables de seconde venue et des broussailles denses d’espèces envahissantes. Nous avons longé des champs agricoles récoltés et des zones renaturalisées avec des jeunes arbres plantés dans des sillons abandonnés. Parfois, ma plume peinait à suivre le rythme de McKinnon, mais mes jambes, elles, ne le faisaient jamais. Il se déplace lentement, s’arrêtant souvent pour examiner et parfois cataloguer. « Je note les découvertes importantes », dit-il. « Quand je n’arrive pas à identifier quelque chose, je prends une photo et je la vérifie plus tard. Ça m’arrive à chaque fois que je sors. »

McKinnon explique que la Rouge se situe dans une zone de transition entre deux régions forestières – la forêt carolinienne caduque et la forêt mixte subboréale des Grands Lacs – ce qui lui confère une diversité de vie rare au Canada, notamment 23 espèces en péril. En seulement 12 pas le long d’un champ cultivé, nous avons croisé des excréments de dinde et de coyote, ainsi que des traces de belette et de cerf.

Si le raton laveur qui nous a accueillis à l’étang n’est peut-être pas rare, l’écosystème dont il fait partie l’est. Les loutres sont également rares – du moins dans la quatrième plus grande municipalité d’Amérique du Nord. Mais c’est précisément cette espèce autrefois disparue qui nous a amenés ici.

Pour un œil habitué aux lignes de vue obstruées d’une ville, la verdure du parc de la Rouge s’étend à l’infini. Le parc s’étend vers le nord sur 15 kilomètres à partir d’une étroite bande qui rejoint le lac Ontario. Dans les parties sud, près du lac, les rivières Rouge et Little Rouge ont creusé de profonds ravins à travers des vallées boisées. Le parc demeure plus ou moins sur le territoire de Toronto, le long de sa frontière est avec Pickering. Au nord de l’avenue Steeles, dans la région de York, les limites deviennent plus droites, englobant un corridor de terres principalement agricoles de deux à cinq kilomètres de large.

Malgré sa taille et son emplacement, le parc de la Rouge n’a jamais suscité beaucoup d’intérêt, même lorsqu’il est passé de 24 kilomètres carrés de terres provinciales et municipales après sa création en 1995 à ses 47 kilomètres carrés actuels. La situation a changé en 2011, lorsque le gouvernement fédéral a annoncé son intention de le reprendre. Le budget de 2012 a confirmé cette décision en promettant 143,7 millions de dollars sur 10 ans pour créer le plus récent parc national du Canada, qui, dans sa nouvelle version, couvrira 58 kilomètres carrés, soit une augmentation de 23 % par rapport à sa superficie actuelle.

L’intérêt soudain de Parcs Canada pour cette parcelle de territoire — une bande de verdure résiduelle au cœur de la plus grande zone urbaine du pays — semble refléter une prise de conscience de la nécessité pour l’organisme de s’adapter afin de demeurer pertinent dans un pays où la démographie évolue rapidement. « Le parc de la Rouge offre une occasion unique de répondre à notre priorité : rejoindre concrètement une population urbaine de plus en plus diversifiée », déclare Pam Veinotte, directrice du parc naissant.

Bien que les défenseurs du parc de la Rouge se soient réjouis – nombre d’entre eux militaient pour le statut de parc national depuis des décennies –, il est vite devenu évident que ce qui était prévu n’était pas un simple parc national. Le parc de la Rouge deviendrait plutôt le premier parc urbain national du Canada. Notez bien le terme « urbain ». Mme Veinotte, cependant, précise qu’il ne s’agira pas d’une sous-catégorie de parc national, mais plutôt d’une nouvelle et quatrième désignation sous l’égide de Parcs Canada, rejoignant ainsi les parcs nationaux, les lieux historiques nationaux et les aires marines de conservation. Cette désignation, dont la législation n’a pas encore été rédigée, suscite des inquiétudes quant à la possibilité que l’augmentation de l’activité humaine dans le parc nuise à son écosystème fragile.

Bien qu’il puisse exister des incertitudes et des questions quant à la coexistence efficace entre l’homme et la nature dans ce contexte – et quant à la possibilité de trouver le juste équilibre entre l’activité humaine et une saine gestion écologique – une chose est sûre : l’idée d’un parc urbain national a suscité l’intérêt de la communauté. En juin dernier, Parcs Canada a publié un concept pour le parc proposé. Plus de 10 000 personnes ont donné leur avis au cours des quatre mois de consultation publique. « Ce parc », affirme Veinotte, « a captivé l’imagination des gens. »

Le défenseur de l'environnement Jim Robb, inquiet de l'avenir écologique du parc de la Rouge, s'adresse aux élèves. (Photo : Peter Andrew Lusztyk)
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S’il subsiste ici quelque chose qui mérite l’imagination, c’est grâce à un groupe de personnes qui, contre toute attente des années 1980, ont affirmé que cette périphérie de Toronto n’avait pas besoin de plus de logements de banlieue.

Glenn de Baeremaeker est président de Save the Rouge Valley System et conseiller municipal de Toronto, mais il se souvient d’une époque où sa voix n’avait pas le même poids qu’aujourd’hui. En 1987, il travaillait pour le groupe lorsqu’une motion a été présentée au conseil communautaire de Scarborough visant à modifier le zonage afin que la quasi-totalité des terrains de Toronto situés dans ce qui est aujourd’hui le parc de la Rouge soient destinés au développement résidentiel. « Je ne pensais pas que ce devait être pavé, je pensais que ce devait être un parc public », explique-t-il. « J’ai donc pris une carte et j’ai passé une nuit à dessiner à la main les limites d’environ 25 000 acres [100 kilomètres carrés]. » C’était une idée audacieuse à l’époque, et de Baeremaeker en a entendu parler. « Les gens nous prenaient pour des fous », dit-il.

La tentative de rezonage fut rejetée. Pauline Browes, alors députée de Scarborough dans le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney, intervint et lança le processus d’obtention du statut de réserve naturelle. Elle convainquit Tom McMillan, alors ministre de l’Environnement, de visiter la vallée de ses propres yeux. Impressionné, il offrit 10 millions de dollars du gouvernement fédéral en 1988 pour la création d’un parc autour de la vallée de la Rouge.

Or, le terrain en question était provincial et municipal, et non fédéral. C’est ainsi qu’a débuté près d’un quart de siècle de gouvernements qui ont tenté de faire ce qu’ils ne font pas le mieux : coopérer.

Six ans après l’offre de financement fédéral, la province a annoncé un plan de gestion du parc et la création de l’organisme directeur, l’Alliance du parc de la Rouge. En 1995, le vaste parc intermunicipal a vu le jour. Une grande partie de ce qui s’est passé – ou ne s’est pas passé – au cours des 18 années qui ont précédé l’annonce de l’année dernière s’explique par le fait que l’Alliance du parc de la Rouge était composée de 14 représentants des gouvernements municipal, régional, provincial et fédéral, ainsi que de l’Office de protection de la nature de Toronto et de la région, du Waterfront Regeneration Trust, du Zoo de Toronto et du Save the Rouge Valley System.

Selon McKinnon, toutes ces voix ont mené à une impasse décisionnelle. « Cela a empêché les choses d’avancer », dit-il. Mais il ajoute que ce n’est pas forcément une mauvaise chose, soulignant que si personne ne parvenait à s’entendre sur l’utilisation du territoire, celui-ci resterait plus ou moins inchangé, avec peu d’installations, une promotion modeste et peu de fonds pour une renaturalisation à grande échelle.

D’un autre côté, laisser le parc à l’abandon l’a laissé sous-aménagé. On ne compte que 16 kilomètres de sentiers agréés. Les seules toilettes se trouvent au lac Ontario. Il n’y a pas de centres d’accueil, de location de canoës, de fontaines à eau ni de pistes cyclables.

Il y a cependant des arrêts d’autobus. Le fait que les transports en commun puissent transporter des visiteurs de toute la région du Grand Toronto jusqu’au parc de la Rouge cadre parfaitement avec la nouvelle priorité de Parcs Canada : être plus attrayant et accessible pour ceux qui n’ont pas beaucoup de paysages de parcs nationaux comme toile de fond dans leurs albums de photos de famille.

« Nos aires protégées sont difficiles d’accès », explique Veinotte. « Mais un Canadien sur cinq vit à moins d’une heure de route de ce parc.» Elle ajoute que d’ici 2018, les visiteurs pourront s’attendre à plus que les quelques panneaux routiers qui délimitent aujourd’hui le parc. « Vous ressentirez un sentiment d’arrivée digne d’un endroit très spécial », dit-elle. Bien qu’elle répète volontiers que ces plans sont structurants, Veinotte envisage un centre d’accueil des visiteurs, des panneaux d’interprétation, des liaisons nord-sud pour relier les sentiers de randonnée disjoints et de nouveaux sentiers polyvalents.

La première tâche, cependant, sera de faire connaître aux amoureux de la nature ce qu’ils peuvent trouver à seulement un trajet d’autobus. « Il faut mieux le faire connaître », déclare Veinotte, surpris par le nombre de personnes présentes aux 30 réunions communautaires organisées l’été dernier qui ont déclaré n’avoir entendu parler du parc que récemment. « Si ce n’est pas une priorité, il n’y aura pas de soutien à la conservation. »

Il fut un temps où Jim Robb s’exprimait parmi ceux qui réclamaient l’implantation de Parcs Canada dans le parc de la Rouge. Aujourd’hui, il présente des preuves au Comité permanent de l’environnement et du développement durable du gouvernement fédéral, affirmant que le concept de parc urbain national de Parcs Canada « compromettra » la santé écologique du parc de la Rouge en privilégiant les humains au détriment de la nature.

J’ai pagayé avec lui sur 20 kilomètres de la rivière Rouge en mai 2011. Notre excursion a débuté dans l’aire de conservation du barrage Milne, une parcelle non contiguë du parc de la Rouge à Markham, où nous avons traversé en canoë un réservoir initialement créé pour l’industrie dans les années 1820. Martins-pêcheurs et hérons bleus pêchaient à proximité pendant notre promenade, et Robb, forestier de métier, m’a confié qu’il aimerait voir le petit lac renaturalisé en milieu humide. Robb défend la Rouge depuis près de 27 ans, d’abord avec Save the Rouge Valley System. Il travaille pour les Amis du bassin versant de la Rouge depuis 1992 et en est aujourd’hui le directeur général. Ancien vice-président de la Commission des évaluations environnementales de l’Ontario, il connaît bien les régimes de conservation.

Tandis que notre canot ricochait sur les rochers, Robb déplorait l’abaissement de la nappe phréatique causé par la déforestation en amont. Il m’a expliqué qu’avec 5 % de couverture forestière, Markham est l’une des municipalités les moins boisées du sud de l’Ontario, et il a détaillé les problèmes de qualité de l’eau et d’érosion qui en résultent. « C’est pourquoi nous avons besoin de Parcs Canada ici », a-t-il déclaré. « Ce sont des spécialistes de l’écologie. »

Le lac Ontario attire depuis longtemps les visiteurs estivaux du parc de la Rouge, mais on espère que de nouveaux sentiers de randonnée et un centre d'accueil attireront davantage de visiteurs à l'intérieur du parc. (Photo : Peter Andrew Lusztyk)
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Un an et demi plus tard, Parcs Canada ayant dévoilé son concept de parc, Robb et Kevin O’Connor, président des Amis du bassin versant de la Rouge, me font visiter le parc par la route. Ils en sont venus à penser que l’Alliance du parc de la Rouge, parfois impuissante – dissoute l’an dernier pour laisser la place à Parcs Canada – avait plutôt bonne allure.

Robb se rend en voiture à la limite nord proposée du parc. Elle se termine abruptement à un lotissement où la 19e Avenue croise la route York Durham Line. « Parcs Canada affirme que le parc de la Rouge est censé relier le lac Ontario au pied de la moraine d’Oak Ridges », explique Robb, faisant référence à la bande de 160 kilomètres de till glaciaire vallonné qui traverse le sommet de la région du Grand Toronto et qui est protégée par la province. « Ce n’est pas le pied, c’est l’orteil. Ces limites étaient fondées sur des considérations politiques, et non hydrologiques.» Il me montre une carte qui indique que l’extrémité nord du parc chevauche bien la moraine, mais de peu. Il pointe ensuite vers l’est, de l’autre côté de la route, vers plus de 40 kilomètres carrés de terres situées dans la ceinture verte provinciale, déjà propriété du gouvernement fédéral. Ce territoire fédéral, comme le montre la carte, s’étend quatre kilomètres plus au nord que le parc proposé, plus profondément dans le territoire morainique.

Le terrain a été exclu de la zone d’étude fournie à Parcs Canada par l’Alliance du parc de la Rouge. Robb estime que les intérêts généraux d’un parc plus vaste et écologiquement sain ont été victimes des intérêts plus étroits des agriculteurs qui louent déjà des terres sur ces terres fédérales interdites. Il affirme ne pas blâmer Parcs Canada et que la politique électorale a limité le parc, du moins pour l’instant.

Ce qui inquiète le plus Robb et O’Connor, c’est le silence de Parcs Canada sur la question d’un corridor de 600 mètres de large le long de la Petite rivière Rouge, où l’écologie devrait primer sur tout le reste, un élément pourtant inscrit dans tous les documents de planification depuis la création du parc. Il ne le voit pas explicitement mentionné dans le concept de parc de 18 pages de Parcs Canada. Robb cite une étude d’Environnement Canada de 2013 intitulée « Quelle quantité d’habitat est suffisante ? », qui soutient que la largeur minimale d’une zone forestière nécessaire pour créer un habitat forestier intérieur est de 500 mètres. « C’est seulement à ce moment-là que l’on obtient un système naturel, avec une canopée fermée, à l’abri des effets de bordure comme l’abondance de ratons laveurs, de mouffettes, de corbeaux et d’espèces envahissantes », explique-t-il.

Malgré l’absence de mention dans le concept du parc, Veinotte affirme que Parcs Canada est « engagé envers un lien écologique » et souligne que le plan de gestion stratégique du parc, un document nettement plus détaillé que l’énoncé de concept, n’a pas encore été rédigé.

O’Connor, cependant, souhaiterait que le point de départ soit un peu plus écologique. « Ce n’est pas ce que nous préconisions », dit-il. « La nature n’est pas notre priorité. Si l’on donne la priorité aux gens, nous en abuserons et en abuserons. » Dans les années 1990, l’Alliance du parc de la Rouge a choisi la meilleure vision à long terme pour ce parc. Nous demandons la même chose. Je veux venir ici avant de mourir et contempler quelque chose de magnifique, pas une courtepointe en lambeaux. »

Mais « en lambeaux » est un mot que certains pourraient utiliser pour décrire le parc actuel, qui fonctionne avec seulement six employés et qui compte en grande partie sur le travail bénévole pour les travaux de conservation.

Serena Lawrie est membre du conseil d’administration de la Fondation de la vallée de la Rouge, l’organisme qui gère le Centre de conservation de la vallée de la Rouge, qui organise régulièrement des promenades guidées dans le parc. Alors qu’elle attend un groupe scolaire devant la ferme du centre, je lui demande si le parc est suffisamment protégé. « Pas vraiment », répond-elle avec hésitation. « Il n’y a pas beaucoup d’argent. Le parc n’a pas réalisé d’inventaire saisonnier majeur des espèces depuis la fin des années 1990. Les sentiers se dégradent. Les gens ne savent plus où aller, alors ils créent leurs propres sentiers. Mais personne ne les surveille. » Mme Lawrie souligne que la publicité générée par l’arrivée de Parcs Canada a déjà entraîné une augmentation de la fréquentation, ce qui est finalement une bonne chose pour son organisme, qui s’efforce de faire connaître le parc. « Avant, il y avait surtout des retraités, mais il y a beaucoup plus de jeunes maintenant », dit-elle.

En parlant de jeunes, deux classes de l’école catholique St. Kevin de Scarborough sont arrivées. L’enseignant Neil Kulim les répartit en groupes. Kulim me raconte comment son père l’a emmené dans la vallée dans les années 1980 pour faire du vélo, se perdre, escalader des ravins et explorer des fermes en ruine. Depuis 2007, Kulim donne des cours au parc.

« Je pensais qu’on allait perdre la majeure partie de cet endroit dans les années 1990 », me dit-il en désignant, au-delà d’un pré le long du sentier Lookout, les maisons de l’autre côté de Meadowvale Road. « Je me souviens avoir frappé aux portes de ce quartier en 1999 et distribué des prospectus sur le parc. Les gens me demandaient : “C’est quoi la Vallée de la Rouge ?” »

Un chef de groupe demande si quelqu’un sait ce qu’est un bousier. La moitié des mains se lèvent. Kulim désigne un élève au fond, chaussé de bottes en caoutchouc neuves, et me dit que la semaine dernière, il ne savait pas ce qu’était un canoë ou un coyote. Je suis un garçon qui s’arrête devant une flaque d’eau sur le sentier. « Ces Jordans coûtent 200 $ », me fait-il remarquer avant de ranger ses baskets bien à l’abri de l’eau. Nous descendons vers une plate-forme de gravier au bord de la rivière Little Rouge, où elle arrive jusqu’aux genoux. Les élèves enquêtent timidement. L’un d’eux demande à Kulim s’ils peuvent toucher l’eau.

« Hé, j’ai trouvé une tortue », crie un enfant.

« Non, tu as trouvé une grenouille », corrige un autre.

Tandis que les enfants explorent le parc, je demande à Joanne Willock, une parente bénévole, à quelle fréquence elle y va. Elle regarde son fils debout sur la berge. « C’est gênant », dit-elle. « Je ne savais même pas que c’était ici. On n’habite pas si loin. Tous ces lotissements par ici, on les appelle “Vallée par-ci” et “Vallée par-là”, mais on perd de vue ce qu’est une vraie vallée. Il a neuf ans et c’est la première fois qu’il marche dans une rivière. » Je regarde et constate que malgré l’appréhension initiale, le penchant enfantin à se mouiller les pieds a pris le dessus. Ceux qui portent des baskets ont de l’eau jusqu’aux chevilles. Le dessus de plus d’une botte en caoutchouc a été percé.

Même l’enfant qui ne voulait pas salir ses chaussures de course doit être rappelé du banc de gravier qu’il emprunte. À son retour, la terre a collé ses lacets. Il a fallu cinq minutes pour le transformer en modèle emblématique du nouvel objectif déclaré de Parcs Canada : faire découvrir la nature environnante aux enfants, aux citadins et aux nouveaux Canadiens.

Plus tard dans l’après-midi, j’observe les ratons laveurs et les cygnes à l’étang avec Andy McKinnon, le naturaliste amateur. Il me montre un bosquet de bouleaux au-delà de la rive nord qui, selon lui, compte parmi les premiers à avoir été plantés dans le parc. L’année dernière, des bénévoles ont planté 100 000 jeunes arbres dans le parc. McKinnon a des sentiments mitigés à l’égard de ces restaurations et estime qu’idéalement, la nature n’a besoin que de temps pour se rétablir. Mais il sait que l’influence humaine ne disparaîtra pas dans le parc de la Rouge. « J’ai déjà constaté un regain d’intérêt pour le parc », dit-il. « Il y a de plus en plus de monde. »

L’augmentation du nombre de visiteurs dans le parc réjouit sans doute ceux qui voient le parc de la Rouge comme une porte d’entrée vers la nature. Et même si McKinnon craint une affluence, il espère que Parcs Canada trouvera le juste équilibre. « Parcs Canada a bonne réputation », dit-il. « Il serait judicieux que le parc soit géré par un seul organisme… s’ils adoptent une législation adéquate. »

Il s’arrête lorsqu’une tête brun foncé fait surface près de la rive. Elle plonge, et son dos élancé se courbe au-dessus de la surface avant de ne laisser que des ondulations. « La voilà », dit McKinnon en désignant la loutre. Peu après, nous en apercevons deux autres – une mère et ses deux petits – et McKinnon se souvient d’avoir vu la mère entraîner ses petits dans l’eau pour leur première baignade. Quelques observations récentes de ce type confirment qu’après 30 ans d’absence, les loutres sont de retour dans la vallée de la Rouge. McKinnon n’est pas encore convaincue qu’il existe une population reproductrice viable, mais c’est un bon début.

L’implantation des loutres peut sembler fragile, mais selon Veinotte, pour que la mission urbaine de Parcs Canada soit couronnée de succès, il est essentiel de protéger des populations comme celle-ci. Elle conteste l’idée que l’augmentation du nombre de visiteurs dans le parc menace sa faune et sa flore. « Le succès de l’un dépend de l’autre », affirme-t-elle. Autrement dit, si Parcs Canada souhaite initier les gens à la nature, il est essentiel qu’ils soient présents dès leur arrivée.

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