Environment
Inside the fight to protect the Arctic’s “Water Heart”
How the Sahtuto’ine Dene of Délı̨nę created the Tsá Tué Biosphere Reserve, the world’s first such UNESCO site managed by an Indigenous community
- 1663 words
- 7 minutes
En arpentant le lieu historique national de Batoche, désert au mois de mai avant l’ouverture de la saison, on peut imaginer les Métis au printemps 1884, en train de préparer leurs champs et leurs jardins, dans ce même paysage formé de la prairie balayée par le vent et de la rivière Saskatchewan Sud scintillante.
À cette époque, les descendants des voyageurs et des chasseurs de bisons de la paroisse catholique de Saint-Laurent, où se trouvait la communauté de Batoche, aujourd’hui située à environ 90 kilomètres au nord de Saskatoon, ont vu leur mode de vie profondément transformé par la quasi-disparition du bison et le déclin du commerce des fourrures. De nombreux Métis, chasseurs de bisons par tradition, menaient depuis longtemps une existence libre et nomade dans le nord-ouest, passant l’hiver dans les Prairies et retournant au printemps dans les communautés situées autour des fourches des rivières Assiniboine et Rouge, dans ce qui est aujourd’hui le Manitoba.
Au cœur des Prairies, le peuple Métis a créé une nouvelle langue qui mariait le cri et le français d’une manière unique, comme l’a décrit un linguiste 100 ans plus tard. Même à la fin du 19e siècle, peu d’étrangers connaissaient l’existence du michif, une langue non écrite.
Dans la région de la rivière Rouge, la lutte des Métis contre la Compagnie de la Baie d’Hudson et le gouvernement au sujet des droits fonciers a culminé par la rébellion de la rivière Rouge de 1869-1870, un acte de résistance politique armé mené par Louis Riel. Les Métis ont fini par perdre la bataille, et le peuple de la nouvelle nation, comme ils s’appelaient eux-mêmes, a été forcé de se disperser. Bon nombre sont allés vers l’ouest jusque dans la région de la rivière Saskatchewan des Territoires du Nord-Ouest nouvellement créés. Au fil du temps, les Métis qui vivaient dans le nord et ailleurs dans la région de la rivière Rouge ont développé d’autres langues mêlant le cri et de français, qu’ils appelaient toutes « michif ».
À Batoche, le peuple michif (terme qui définit leur identité et leur nouvelle langue) a fondé une colonie permanente dans ce qui était jusque-là un lieu d’hivernage. Beaucoup survivaient en continuant de transporter des marchandises pour ce qui restait de la Compagnie de la Baie d’Hudson, en pratiquant l’agriculture et en vendant des os de bison prélevés sur les carcasses laissées par les abattages massifs sanctionnés par le gouvernement. Ils espéraient que, cette fois-ci, le gouvernement reconnaîtrait leur droit de propriété sur les terres. Entre 1878 et 1885, ils ont envoyé des pétitions au gouvernement, en quête d’un titre officiel pour le territoire qu’ils revendiquaient. Cependant, à mesure que les compagnies de colonisation se voyaient accorder des droits sur les terres, la frustration des Métis augmentait. Ils ont donc envoyé le chef Gabriel Dumont au Montana pour exhorter Riel, qui vivait là en exil, à se joindre une fois de plus à la cause.
Au printemps 1885, les Métis, y compris Riel, avaient envoyé 84 pétitions au gouvernement du Canada. Plutôt que de négocier, le gouvernement a accu la présence des policiers à cheval et de la milice du Nord-Ouest dans la région et a envoyé des troupes.
Les Métis de Batoche ont décidé de se battre une fois de plus pour faire valoir leurs droits et ont formé un gouvernement provisoire. Trois batailles distinctes se sont déroulées sur une durée de huit semaines, du 26 mars au 12 mai, faisant 62 ou 63 victimes : 30 du côté canadien et 32 ou 33 du côté métis. Dumont s’est exilé aux États-Unis, tandis que Riel s’est rendu, a été jugé coupable de haute trahison et a été pendu à Regina le 16 novembre 1885.
Les Métis ont été contraints de se déplacer à nouveau. Certains sont allés vers le sud rejoindre des parents au Montana, dans le Dakota du Nord et à Minneapolis; d’autres se sont dirigés vers l’ouest jusqu’en Alberta et en Colombie-Britannique; et d’autres encore ont migré vers le nord. Le système fédéral des certificats, établi en 1870 pour fournir des terres ou de l’argent aux Métis, était vulnérable à la fraude et n’a pas fait grand-chose pour fournir une assise territoriale aux Métis. Bon nombre d’entre eux en ont été réduits à fonder de petites communautés dans les réserves routières, des terres de la Couronne mises de côté pour la construction de routes, mais ces communautés risquaient d’être démolies selon le bon vouloir du gouvernement.
Les communautés autrefois unies, occupées par les voyages, la chasse et la trappe et vivantes grâce à leurs histoires, leur musique et leur danse, ont été séparées. La culture et la communauté, où l’extraordinaire langue michif avait été créée et avait prospéré, étaient désormais confrontées au défi de l’assimilation coloniale.
Les récentes générations de Métis ont grandi sans apprendre la langue. D’après le Recensement de 2016 du Canada, 725 personnes ont le michif comme langue maternelle et 275 le parlent à la maison. Toutefois, ces chiffres incluent jusqu’à quatre langues parlées par les Métis. Certains disent qu’il y aurait actuellement 500 locuteurs courants, alors que d’autres estiment qu’il y en aurait moins de 100. L’UNESCO, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture, a désigné le michif comme une langue gravement menacée. Au fur et à mesure que les aînés deviennent plus fragiles ou décèdent, la langue michif, ainsi que l’identité de la nation, risquent de disparaître. Malgré tout, il y a de l’espoir.
« Je descends de plusieurs générations de Métis… ils étaient le peuple du bison, le peuple du commerce des fourrures; ils ont créé leur propre langue, leurs propres histoires, leurs danses, leurs chansons, et sont devenus un peuple avec l’aide de Dieu », explique Norman Fleury, locuteur du michif respecté et auteur un dictionnaire de termes michifs. « Ils étaient capables de s’adapter à différentes nationalités, mais ils ont aussi créé la leur et ils savaient qui ils étaient. »
M. Fleury est traducteur à l’Institut Gabriel Dumont, une organisation métisse à but non lucratif qui favorise le renouvellement et le développement de la culture métisse grâce à la recherche et à l’éducation, ainsi que chargé de cours à l’Université de la Saskatchewan. Son ascendance métisse remonte à sept générations du côté de ses deux parents, et certains de ses ancêtres ont participé aux actes de résistance à la rivière Rouge et à Batoche.
M. Fleury a été élevé par sa grand-mère, Flora (née Lépine) LeClerc. Un jour, il lui a demandé d’où venait le michif. Elle lui a dit de revenir le lendemain, comme le font les aînés, afin qu’elle puisse prendre le temps de réfléchir avant de répondre. M. Fleury raconte que le lendemain, elle lui a dit : « Dieu a créé le monde, il a tout créé. Au-delà de la mer, il y a des peuples. Les Allemands parlent l’allemand et les Anglais parlent l’anglais. Ici, les Sioux parlent le sioux et les Pieds-Noirs, le pied-noir. Dieu a créé toutes ces personnes. C’est comme un cerceau, un cercle. C’était à notre tour d’être créés, et nous avons complété ce cerceau. Nous sommes la dernière nation que Dieu a créée; il nous a donné une langue et nous avons une nationalité. Nous sommes des Michifs et nous parlons le michif. Nous avons réuni le cerceau. »
Elle a poursuivi : « Dieu nous donne ces types de liens, spirituellement, avec le monde, avec nos propres nations, nos récits, nos histoires, nos remèdes, nos systèmes de croyances qui sont tous reliés. Nous ne pouvons rien réunir sans ces liens spirituels. »
M. Fleury souligne que « Michif » est une nationalité qui englobe la langue. Les vieilles chansons venues de France ont été adaptées en michif, dit-il. Il en allait souvent de même avec la prononciation des noms français. Par exemple, « les chevaux » est devenu « lii zhvoo ». En michif, « li zhwall » signifie « le cheval ».
Parfois, le michif emprunte à l’anglais, mais même dans ces cas-là, les mots sont si bien intégrés dans la langue que souvent, les locuteurs natifs ne se rendent pas compte qu’ils ont une autre origine. Par exemple, une femme se demandait quel était le mot anglais pour « beans » (haricots). Ce mot, qui venait des travailleurs anglophones des postes de traite de la Compagnie de la Baie d’Hudson, était intégré depuis longtemps dans la langue michif.
« Notre langue était utilisée dans plusieurs contextes : familial, cérémonial et commercial », explique M. Fleury.
Les communautés parlaient le michif entre elles et à la maison. Pendant plusieurs générations, les Métis ont été majoritairement analphabètes. Les savoirs importants étaient transmis grâce aux traditions orales de leurs ancêtres des Premières Nations. Les écoles dirigées par les missionnaires étaient des instruments de colonisation qui interdisaient l’usage du michif en classe.
L’aspect cérémoniel de la langue provenait d’éléments du catholicisme et de la spiritualité des Premières Nations, qui étaient essentiels à la vision du monde michif, et s’est transformé en mots et en coutumes qui sont devenus typiquement michifs. M. Fleury se souvient que sa grand-mère lui couvrait les yeux d’une pièce de tissu en nylon noir afin qu’il puisse regarder le lever du soleil le matin de Pâques et voir la lumière vibrante et scintillante qui témoignait de la gloire du Christ ressuscité. Sa grand-mère, une catholique, avait appris à s’agenouiller pour cueillir les plantes médicinales, comme si elle priait, et à déposer le tabac à la manière des Cris.
De nombreux Métis participaient à la danse du soleil et à d’autres cérémonies des Premières Nations et respectaient des protocoles qui ne sont toujours pas abordés à la légère avec les étrangers. Les valeurs des Métis sont inextricablement liées à la langue. Lorsqu’ils ont commencé à se marier avec des personnes étrangères à leur culture, après la Seconde Guerre mondiale, leur langue est tombée en désuétude. Les parents ont cessé d’utiliser le michif à la maison et la langue a décliné, indique M. Fleury.
M. Fleury, qui parle le michif patrimonial, considéré comme la première langue michif, est attaché au michif en tant que nationalité et culture, mais dit accepter volontiers d’autres versions de la langue qui ont émergé au sein des communautés métisses historiques, que l’Institut Gabriel Dumont appelle le « michif français » et le « michif du Nord ». Cependant, tous les Métis ne sont pas d’accord avec ce point de vue. Certains estiment plutôt que le financement du michif patrimonial devrait avoir la priorité par rapport aux autres.
M. Fleury porte une affection particulière au linguiste néerlandais Peter Bakker, qui a contribué à faire connaître le michif patrimonial au reste du monde dans les années 1990, tout en alertant les Métis sur le fait que leur langue était en péril. À l’époque, M. Bakker estimait qu’il ne restait plus que 500 locuteurs courants du michif patrimonial.
« Soudainement, cela a provoqué un réveil [chez les Métis]. Ils ont dit : « C’est vrai! Personne ne le parle à la maison. Nos enfants ne le parlent pas », relate M. Fleury.
« Si une langue disparaît, c’est aussi une culture et tout un système de connaissances qui se perdent », affirme M. Bakker. « Chaque langue est une solution unique au problème de la communication. La façon dont nous divisons le monde en objets et en actions et dont des gens créatifs assurent le maintien et l’évolution de la langue… On dit parfois que lorsqu’une langue disparaît, c’est comme si le musée du Louvre ou la Bibliothèque du Congrès brûlait ».
En tant que linguiste se consacrant à l’étude scientifique des langues, M. Bakker pensait savoir beaucoup de choses sur la façon dont les langues ont été créées par différents groupes qui se sont rassemblés. Il a été très étonné lorsqu’il a découvert par hasard le michif patrimonial en 1985 : cette langue mariait deux langues d’une façon qu’il n’avait jamais vue, en utilisant des noms français et des verbes cris.
En 1987, M. Bakker, qui parlait déjà le français, est venu au Canada et a habité avec la famille d’Henry Daniels dans la nation crie de Sturgeon Lake, en Saskatchewan, pour apprendre le cri afin de pouvoir analyser la langue michif. Il a rencontré des locuteurs du michif patrimonial au Manitoba et dans le nord des États-Unis, ainsi que des locuteurs d’autres versions du michif dans les communautés métisses du Manitoba, du centre et du nord-ouest de la Saskatchewan et de l’Alberta.
Parmi les 7 000 langues connues dans le monde, seule une trentaine sont des langues mixtes, dont environ 25 qui présentent un schéma spécifique dans lequel le vocabulaire provient d’une langue et la grammaire d’une autre. Les langues mixtes, comme le michif, se développent lorsque les locuteurs sont bilingues dans les deux langues d’origine. Dans le cas des Métis, tout aurait débuté lorsque les voyageurs ont commencé à épouser des femmes cries et nahkawininiwak (saulteaux).
Les mariages mixtes étaient mutuellement bénéfiques : les hommes blancs étaient acceptés comme des membres de la famille parmi les peuples des Premières Nations qui pratiquaient le trappage, lesquels savaient comment prospérer sur la terre et dans le climat, tandis que les familles autochtones gagnaient un membre qui avait accès aux commerçants. Les couples bilingues facilitaient les relations dans le commerce des fourrures et favorisaient une coexistence pacifique entre les peuples disparates. Au début, les enfants nés de ces unions étaient élevés par leur mère en tant que membres des Premières Nations, mais la situation a changé au fil des générations. Davantage d’hommes se sont mis à faire leur vie dans le nord-ouest, quittant leur travail auprès des compagnies de traite afin de se consacrer à la chasse au bison, au commerce du pemmican, ainsi qu’au transport de marchandises par voie terrestre dans les charrettes en bois de la rivière Rouge qu’ils avaient conçues pour augmenter la capacité de charge des chevaux.
Si certains Métis avaient conservé des maisons dans la région de la rivière Rouge, autour de l’actuelle ville de Winnipeg, d’autres n’y vivaient qu’une partie de l’année. Certains passaient la majeure partie de l’année presque exclusivement dans les plaines de la Saskatchewan, de l’Alberta et du nord des États-Unis, suivant les bisons, tandis que d’autres vivaient le long des réseaux hydrographiques dans les forêts du nord. Les Métis parlaient plusieurs langues des Premières Nations telles que le cri, le nahkawininiwak (saulteux), le déné et d’autres encore, de même que le français et l’anglais, ce qui leur permettait d’interagir et de pratiquer le commerce partout où ils allaient.
Compte tenu de ces compétences, M. Bakker s’est demandé pourquoi les Métis avaient créé une nouvelle langue. Pour répondre à cette question, il devait savoir quand la langue est apparue. Les documents historiques contenaient peu d’informations sur le moment où la langue a émergé. M. Bakker a trouvé une référence au michif datant des années 1930 et a appris l’existence d’autres références datant des années 1890. Des aînés parlant le michif racontaient une histoire orale qui faisait remonter l’usage de la langue au moins jusqu’à 1840, faits confirmés par les registres généalogiques des missionnaires.
Selon les recherches de M. Bakker, le michif n’a pas été créé par nécessité pour le commerce des fourrures. En 1840, plusieurs générations de locuteurs bilingues pratiquaient depuis longtemps le commerce avec succès en français, en nahkawininiwak et en cri. En outre, les langues commerciales sont généralement de simples pidgins (lorsque des locuteurs sans langue commune créent un jargon qu’ils peuvent tous deux comprendre) ou des créoles (lorsqu’un pidgin primitif devient plus largement utilisé, acquiert une grammaire complète et devient la langue maternelle des nouvelles générations).
Le michif patrimonial est tout sauf simple. En plus de son système de verbes cri complexe et descriptif, son système de noms et d’adjectifs français comprend l’attribution imprévisible d’un genre grâce à des articles comme« le » et « la » ainsi qu’« un » et « une ».
« Il semble que ce soient les catégories les plus complexes de chaque langue qui entrent dans la composition du michif plutôt que les plus simples », écrit M. Bakker en 1997 dans son ouvrage novateur A Language of Our Own : The Genesis of the Mixed Cree-French Language of the Canadian Métis (Une langue qui nous est propre : la genèse de la langue mixte cri-français des Métis du Canada), qui porte sur le michif patrimonial.
Nulle part au monde une économie n’a donné lieu à une langue au caractère aussi complexe et mixte que le michif. On peut comparer son émergence à la façon dont les jeunes inventent de nouveaux mots ou utilisent des mots existants de manière inédite pour créer un langage d’initiés qui les distingue de leurs parents, ou ce que M. Bakker appelle un langage « endogroupe ».
Ces types de langages constituent « le langage de solidarité par excellence pour les membres du groupe et un langage de distanciation pour ceux qui n’en font pas partie », écrit M. Bakker dans A Language of Our Own.
« Dans ce cas-ci, il est très probable que [le michif s’est développé] au début des années 1800, lorsque les Métis ont commencé à se considérer comme un groupe distinct, différent des Français et des Cris », explique-t-il.
Les générations qui avaient fait des mariages mixtes, apportant à leurs nouvelles familles les langues et les coutumes de leurs ancêtres des Premières Nations et européens, ont eu des enfants qui se sont mariés entre eux. Les membres de cette population croissante ont grandi sans jamais vivre avec leur parenté des Premières Nations ni dans les villes et communautés de colons blancs de l’est du Canada. Le sentiment d’être un peuple qui s’appartient, peu habitué à se soumettre à l’autorité extérieure, s’est épanoui à une époque antérieure à la Confédération, où la domination coloniale n’avait pas atteint le nord-ouest et où la Compagnie de la Baie d’Hudson n’exerçait son autorité en tant que gouvernement de facto que là et quand elle en avait besoin, dans l’intérêt de ses activités commerciales. Le michif patrimonial est né au milieu de la vie de liberté subséquente dans les plaines.
« Les Métis ont commencé à penser, à agir et à se considérer comme un groupe distinct. Ils se sont donné un nom collectif : les Bois-Brûlés (qui deviendront plus tard la Nation Métis). Ils étaient extrêmement fiers de leur indépendance et de leur liberté », écrit Jean Teillet, membre fondatrice de la Métis Nation of Ontario, présidente fondatrice de l’Association des juristes de la Nation des Métis et arrière-petite-nièce de Louis Riel, dans son livre The North-West Is Our Mother: The Story of Louis Riel’s People (Le Nord-Ouest est notre mère : l’histoire du peuple de Louis Riel).
Le ressentiment concernant le statut de nation des Métis était exacerbé par les autorités coloniales de la Compagnie de la Baie d’Hudson qui sont arrivées à la rivière Rouge en 1812 avec des colons écossais et des lois qui ne profitaient qu’à eux, tout en entravant et en excluant les Métis. La participation au gouvernement et les droits sur les terres et les ressources étaient au cœur du conflit. Dès 1815, les Bois-Brûlés ont déployé leur propre drapeau arborant le symbole de l’infini sur fond bleu. Ils ont affirmé une nouvelle conscience politique et ont développé une langue et une culture propre à eux qu’ils ont appelées métif (prononcé michif). En juin 1816, les Bois-Brûlés se sont battus contre le gouverneur des territoires de la CBH, Robert Semple, et les colons lors de la bataille de la Grenouillère, l’événement qui a marqué la naissance de la Nation métisse.
Louise Oelke, 69 ans, a grandi à l’Île-à-la-Crosse, dans le nord-ouest de la Saskatchewan, avec le michif du Nord comme langue maternelle. Aujourd’hui retraitée, elle est devenue une enseignante de michif du Nord très demandée. Le père de Mme Oelke, qui pratiquait la chasse et la trappe, rapportait à la maison des fourrures de castor et de rat musqué. Au village, la famille de 13 enfants vivait dans une maison comprenant deux chambres, équipée d’un poêle à bois en fonte et éclairée par une lampe à pétrole ou une simple mèche trempée dans du saindoux. Ils prenaient un bain toutes les deux semaines dans une baignoire en acier galvanisé avec de l’eau réchauffée sur le poêle. Parfois, toute la famille partait vivre dans une tente dans la brousse.
Mme Oelke ne parlait pas anglais avant de fréquenter l’école du village, où il lui était interdit de s’exprimer dans sa propre langue.
« La religieuse nous donnait des coups de règle sur la tête et nous disait que nous n’avions pas le droit de parler cette langue en classe », raconte Mme Oelke.
Même si le michif du Nord était largement utilisé dans la communauté, Mme Oelke explique qu’elle a cessé de l’utiliser lorsqu’elle a déménagé à Saskatoon dans les années 1970, principalement parce qu’il n’y avait personne avec qui le parler. De nombreuses personnes de son âge ont oublié la langue ou ne l’ont jamais apprise en raison des nombreux préjugés à l’égard des Métis qui avaient cours dans le sud. Dans le centre de la Saskatchewan, de nombreuses familles cachaient que leur langue était le michif et prétendaient être francophones. Mme Oelke, qui a eu cinq enfants, ne leur a pas enseigné la langue, à part quelques mots et expressions. Elle explique qu’en tant que femme monoparentale occupant par moments deux emplois, « C’était plus simple et plus rapide d’utiliser l’anglais. Leur enseigner [le michif] était difficile pour moi. »
Ces dernières années, Mme Oelke a été invitée à partager sa connaissance du michif du Nord. L’an dernier, l’école College Park School de Saskatoon l’a embauchée pour enseigner le michif après avoir obtenu une subvention de SaskCulture. Les enfants ont aimé le cours et ont appris des mots et des phrases, mais pas assez pour tenir une conversation. Selon elle, deux mois d’enseignement ne suffisent pas à former des personnes qui parlent couramment la langue.
« La langue devrait être enseignée de manière constante, pas seulement pendant huit semaines », dit-elle, en se demandant « s’ils vont conserver la langue ».
Mme Oelke fait partie des nombreuses personnes qui travaillent à la revitalisation du michif.
À l’Institut Gabriel Dumont, David Morin, concepteur de programmes d’études, participe à la production d’applications mobiles, de livres (y compris des livres illustrés pour enfants), d’enregistrements transcrits et d’autres ressources d’apprentissage du michif, dont bon nombre sont disponibles gratuitement sur le site Web du musée virtuel de l’organisation. Comme le michif est traditionnellement une langue orale, l’Institut inclut une composante audio dans la quasi-totalité de ses ressources michifs. M. Fleury traduit et enregistre un grand nombre de ces ressources. C’est un processus minutieux qui est parfois ralenti par son emploi du temps chargé.
M. Fleury travaille également à l’enregistrement d’un dictionnaire de 11 500 mots et d’un livre d’expressions michifs qu’il a rédigé il y a plusieurs années. En 200 ans d’existence, le michif n’a été couché sur papier qu’au cours des dernières décennies, et il n’y a pas d’orthographe normalisée. Même si des efforts ont été déployés pour en créer une, elle n’a pas été largement adoptée, les différents locuteurs du michif ayant développé leurs propres orthographes phonétiques. M. Fleury travaille également avec l’éducatrice Angie Caron à la création d’un programme de certificat de langue autochtone de dix cours d’une durée de deux ans avec l’Université de la Saskatchewan, qui, selon lui, comprendra au moins trois cours en michif. Un cours d’accréditation est également en préparation au programme de formation des enseignants autochtones en milieu urbain de la Saskatchewan à l’Université de Regina.
À Saskatoon, les systèmes scolaires public et catholique ont chacun désigné une école primaire pour mettre l’accent sur les Métis, en introduisant des bribes de michif dans la vie quotidienne des enfants. Entre-temps, à l’Île-à-la-Crosse, le michif du Nord fait partie de la routine à l’école secondaire Rossignol et à la station de radio communautaire, où l’animateur Robert Merasty parle la langue environ cinq heures par jour. De retour à Regina, la première d’un opéra michif intitulé Riel: Heart of the North (Riel : le cœur du Nord) a été présentée à l’automne 2019. C’était la première fois que la langue faisait partie intégrante d’une œuvre orchestrale et vocale majeure. En ligne, par l’intermédiaire de sa page Facebook Michif Cree Language, Sky Blue Morin montre que la langue est vivante et peut être utilisée pour décrire le monde d’aujourd’hui. Elle publie des dizaines de vidéos simples réalisées avec son téléphone intelligent. Dans certaines, elle se promène dans sa communauté et commente en michif des choses qui se trouvent sur son chemin. Ses publications comprennent des transcriptions des mots en michif cri entendus dans les vidéos ainsi que des traductions en anglais.
M. Fleury et d’autres parties prenantes conviennent que si les livres, les médias sociaux et les cours sont utiles pour sensibiliser les gens et stimuler leur intérêt d’apprendre une langue, les efforts visant à sauver la langue passent à côté de grands pans de l’activité humaine.
« On n’utilise plus la langue pour la chasse, le travail à la ferme, la boucherie, la pêche, la famille, les soins, l’amour et les légendes. Elle n’est pas utilisée pour ça. Les bases de la langue utilisée aujourd’hui sont très réduites », explique M. Fleury. « Si nous ne mettons pas en valeur tout ce vocabulaire, nous n’avons plus de langue. »
À propos du programme mentor-apprenti et de la documentation linguistique : La technique d’immersion individualisée « mentor-apprenti », mise au point par Leanne Hinton, Matt Steele et Nancy Steele Richardson, également auteurs de la bible mentor-apprenti How to Keep Your Language Alive: A Commonsense Approach to One-on-One Language Learning (Comment maintenir sa langue en vie : une approche rationnelle de l’apprentissage de la langue en tandem), consiste à jumeler un locuteur courant d’une langue qui n’est plus couramment parlée (mentor) à un jeune apprenant (apprenti) dans une maison ou un autre cadre culturellement approprié. Ensemble, le tandem ne parle que la langue sur laquelle il se concentre. Les locuteurs mentors apprennent à communiquer des messages sans utiliser l’anglais, et les apprentis mémorisent quelques « questions d’urgence » de base et apprennent comment demander quelque chose à l’aide d’images ou de gestes.
Dans le cadre du programme, les étudiants reçoivent des consignes de la part d’aînés tout en prenant la responsabilité de leur apprentissage, en préparant des questions touchant les domaines d’étude plutôt que d’attendre de recevoir l’enseignement. Lors d’une leçon, le mentor peut préparer du thé tandis que l’apprenti commente le remplissage de la bouilloire, l’allumage du poêle, le chauffage de l’eau jusqu’à ce qu’elle bouille, et ainsi de suite. La prise de notes pendant les séances est contre-indiquée, car les apprentis doivent rester pleinement concentrés sur la langue cible. Cependant, il leur est demandé de conserver des enregistrements audio afin de pouvoir écouter plusieurs fois les leçons en dehors des séances.
Heather Souter a découvert la méthode mentor-apprenti en discutant avec M. Bakker. Pendant sa jeunesse, à Vancouver, son père lui parlait de l’histoire et de la culture des Métis, mais aucun cours de cri ou de michif n’était donné à l’Université de la Colombie-Britannique au moment où elle la fréquentait, à la fin des années 1970. Au début des années 2000, alors que Mme Souter travaillait comme interprète et traductrice au Japon, elle a entendu parler de M. Bakker et a pris contact avec lui – une rencontre qui a changé sa vie. Grâce à son travail, M. Bakker avait contribué à accroître la fierté des Métis, dont beaucoup avaient été élevés par des parents et des grands-parents qui, après avoir énormément souffert du racisme, avaient appris à leurs enfants à ne pas attirer l’attention sur leurs origines.
Le linguiste a aiguillé Mme Souter vers la méthode mentor-apprenti et l’a mise en contact avec deux aînées qui parlaient le michif, Rita Flamand et Grace Zoldy. Celles-ci ayant accepté de lui enseigner la langue, elle les a emmenées toutes les deux, ainsi qu’un autre apprenant, J.C. Schmidt, en Californie pour qu’ils suivent le programme mentor-apprenti auprès de Mmes Hinton et Richardson.
Mme Souter a également étudié auprès d’autres experts en revitalisation des langues autochtones aux États-Unis avant de s’installer à Camperville, au Manitoba, pour faire son apprentissage auprès de Mmes Zoldy et Flamand (cette dernière est décédée en 2016). Mme Souter a ensuite obtenu une maîtrise en revitalisation des langues autochtones à Saskatoon par l’intermédiaire de l’Université de Victoria. Elle s’est associée à des locuteurs locaux, dont Verna Demontigny, pour lancer un groupe à but non lucratif, le Prairies to Woodlands Indigenous Language Revitalization Circle (le cercle de revitalisation), et pour former des tandems mentor-apprenti, principalement des membres de la même famille qui ont l’avantage d’avoir une relation, une confiance et un accès mutuels.
Mme Demontigny a grandi dans une communauté des réserves routières appelée Li Kwaen (qui signifie « le coin ») près de Binscarth, au Manitoba, et parlait uniquement le michif jusqu’à ce qu’elle entre à l’école. Même si elle adorait parler sa langue, Mme Demontigny n’a pas enseigné le michif à ses enfants, car elle ne voulait pas qu’ils subissent les moqueries et la discrimination dont elle avait souffert. Bien qu’elle n’ait pas transmis la langue à ses enfants, elle est devenue porte-parole de la culture et de la langue métisses et fait des présentations dans des écoles et d’autres lieux publics. Lorsque le cercle de revitalisation a reçu des fonds pour mettre en place un programme mentor-apprenti, Mme Demontigny et son fils Elvis ont fait partie des six tandems qui se sont inscrits. Au cours des deux dernières années, ils ont passé jusqu’à 12 heures par semaine à « vivre dans la langue ».
« On ne parle pas du tout anglais; on se contente de pointer du doigt ou d’utiliser des images, et puis on cuisine, on fait des courses ou on fait la lessive. Nous disons les choses à haute voix : tu tries le linge, ici c’est la pile de blanc, là c’est la pile de couleurs. C’est une leçon en soi », dit-elle. « Nous apprenons la langue à travers les activités de la vie quotidienne. »
Mme Demontigny a vu Elvis gagner en confiance au fur et à mesure que sa compréhension et ses capacités s’amélioraient. « Maintenant, il est fier, parce qu’il connaît la langue et parce que la culture vient [avec]. Il ne s’était jamais rendu compte qu’il vivait dans notre culture. Il en tire une grande fierté. Ça me rend fière aussi. J’ai rempli mes obligations envers lui, car maintenant, il sait qui il est », conclut-elle.
Elvis enseigne maintenant le michif à sa fille, tandis que Mme Demontigny transmet la langue à son autre fils et sa famille.
Mme Souter a croisé sur son chemin Dale McCreery, qui en était au premier semestre de sa maîtrise en linguistique à l’Université de Victoria. Elle l’a recruté pour le projet, et la linguiste Nichole Rosen lui a aussi demandé de documenter la langue michif pour les futurs apprenants, ce qui l’a amené à devenir l’apprenti de Grace Zoldy. M. McCreery était le candidat idéal pour ce poste « à deux mandats ». À 26 ans, il parlait déjà cinq langues et avait grandi en entendant son grand-père métis employer certains des mots cris dont il se souvenait. Au fil des ans, M. McCreery avait appris un peu de cri dans des livres que sa grand-mère lui avait donnés.
Lorsqu’il est entré à l’université, il a reçu une aide financière pour les étudiants métis, ce qui a énormément ému son grand-père.
« Il m’a dit : ‘C’est la première fois que le fait d’être un sang-mêlé apporte quelque chose de bon à quelqu’un dans ma famille!’ », raconte M. McCreery.
En prévision de son immersion michif à l’été 2009. M. McCreery a révisé ses notions de cri, ce qui lui a donné une base pour apprendre les verbes complexes utilisés en michif. Il a séjourné pendant environ quatre mois dans la maison confortable de Mme Zoldy située en bordure de Camperville, près du lac Winnipegosis, et y est retourné deux fois au cours des deux années suivantes, en réalisant le double mandat exigeant et peu commun qui consistait à apprendre la langue tout en la documentant officiellement à l’intention des futurs apprenants.
« Notre objectif était non seulement d’apprendre, mais aussi de réaliser des enregistrements de tous les apprentissages qui seraient suffisamment complets pour permettre par la suite à d’autres apprenants de venir les écouter et d’apprendre la langue eux-mêmes », explique-t-il.
M. McCreery, qui est aujourd’hui candidat au doctorat et qui se spécialise dans les pratiques exemplaires en matière de documentation linguistique à des fins d’enseignement efficace, affirme que le michif est sur le point de « s’endormir », terme que les linguistes utilisent au lieu de dire qu’une langue est en train de disparaître ou de s’éteindre. De plus, comme il y a très peu de personnes âgées parlant le michif, se concentrer sur l’enseignement en classe n’est pas la meilleure façon d’utiliser les maigres ressources disponibles pour la revitalisation de la langue, ajoute-t-il. Les apprenants doivent passer beaucoup de temps à utiliser la langue avec des locuteurs qui la parlent couramment. De même, bien que les livres et les publications dans les médias sociaux soient d’excellents moyens de stimuler l’intérêt d’apprendre une langue, ils ne permettent pas à eux seuls de créer des locuteurs courants. En effet, dans le meilleur des cas, une personne doit suivre 50 ou même quelques centaines d’heures d’enseignement pour devenir un locuteur débutant. Apprendre à parler une langue couramment exige des milliers d’heures de conversation et d’étude, indique M. McCreery.
La méthode mentor-apprenti est l’expérience la plus immersive offerte actuellement aux adultes désireux d’apprendre une langue dont il reste très peu de locuteurs. C’est la meilleure solution qui existe dans l’enseignement des langues menacées, selon Sonya Bird, professeure agrégée de linguistique à l’Université de Victoria et experte en revitalisation des langues. La documentation à grande échelle de la langue parlée est tout aussi importante, car elle fournit aux enseignants une source de la langue avec laquelle ils pourront travailler lorsque les locuteurs actuels auront disparu. Ce type de documentation nécessite une formation spécialisée, différente de celle de l’apprenant moyen. Pour bien faire les choses, l’apprenant doit passer du temps avec le mentor, puis passer du temps sans lui à écouter les enregistrements des séances, et ensuite revenir lui poser des questions qui le conduiront à une compréhension approfondie de la langue.
« La documentation exhaustive prend énormément de temps et demande beaucoup d’efforts pendant les séances, tant pour l’apprenti que pour le mentor », indique Mme Bird. « Si l’apprenti n’est pas rémunéré pour faire partie de l’équipe, il a probablement un autre travail, ce qui fait qu’il n’a pas assez de temps au cours de la journée pour accomplir ce genre de travail. »
Il s’agit d’une occupation spécialisée à plein temps qui requiert d’habiter au même endroit que le locuteur, même si ce n’est pas pratique. Les membres de la famille sont possiblement les meilleurs candidats pour cette méthode. Dans le cas du michif, cependant, bon nombre des locuteurs restants n’ont pas utilisé régulièrement leur langue depuis des années. Pour certains, c’est trop tard pour jouer le rôle de mentor, étant donné les heures d’effort mental intense que cela exige.
Selon Mme Bird, ce qu’il faut maintenant, ce sont des équipes financées de locuteurs et d’apprenants déterminés, des linguistes pour documenter adéquatement la langue parlée, des enseignants qui connaissent les besoins pédagogiques et une personne responsable d’administrer un tel programme.
M. McCreery a eu la possibilité d’enregistrer environ 500 heures de michif à Camperville et il sait qu’il existe d’autres enregistrements. Cependant, il estime que des milliers d’heures supplémentaires de conversations recueillies de manière systématique sont nécessaires pour conserver le plus possible de la langue parlée.
Depuis son séjour à Camperville, M. McCreery a mis à profit sa connaissance de la méthode mentor-apprenti et de la documentation linguistique dans le cadre de son travail avec la dernière génération de locuteurs du nuxalk, la langue des premiers peuples de la rivière Bella Coola, en Colombie-Britannique, et de la région environnante. Depuis 2012, il a passé des milliers d’heures à établir des relations avec les aînés et les a aidés à redonner vie à leur langue. Même s’il peut être nécessaire qu’un aîné passe des mois, voire des années, avec un apprenant dévoué avant de retrouve son aisance, il est possible de réveiller la langue chez des personnes qui, au début, pouvaient à peine prononcer une phrase. M. McCreery a vu certains de ces aînés se souvenir d’expressions qu’ils avaient entendues au cours de leur enfance.
Mme Bird, M. McCreery et Mme Souter sont tous convaincus que financer entièrement les programmes mentor-apprenti et la documentation linguistique représente la meilleure chance, et aussi la dernière, de créer de véritables locuteurs du michif capables de transmettre la langue, tout en captant de manière systématique la complexité et les nuances de la langue pour les futurs apprenants indépendants. Même si, selon M. McCreery, la méthode mentor-apprenti ne convient pas à tout le monde, sa propre maîtrise de la langue et celle de Mme Souter ont montré son efficacité. Cependant, Mme Souter n’a eu qu’un succès limité dans l’obtention de fonds pour de tels projets. L’une des difficultés est que malgré l’importance cruciale de la langue, les organisations ne sont pas autorisées à rémunérer les apprenants grâce aux subventions fédérales pour l’enseignement des langues, car l’« apprentissage », même s’il a pour but de préserver les langues autochtones menacées, est considéré comme une formation et relève donc de la responsabilité des provinces.
« Aucune partie des fonds que nous recevons de Patrimoine Canada [pour la revitalisation des langues] ne peut être utilisée pour rémunérer les apprentis afin qu’ils incarnent les langues de leurs ancêtres dans le cadre de l’important travail qu’ils accomplissent », déplore Mme Souter.
« Il serait bon de disposer d’un véritable soutien pour les apprenants sérieux, ainsi que d’un soutien sérieux pour la documentation continue », ajoute M. McCreery.
Mme Bird s’inquiète également du fait que certains groupes hésitent à travailler avec des linguistes en raison de la tradition de pratiques coloniales et contraires à l’éthique rattachée aux experts universitaires.
Glen McCallum, président de la Nation métisse de la Saskatchewan, se dit satisfait de l’expertise des aînés dans l’enseignement de la langue. Il souligne les relations que la Nation a établies avec l’Université de la Saskatchewan pour planifier l’avancement du programme de certificat de langue michif. En 2019, son groupe a reçu environ 1,2 million de dollars du gouvernement fédéral pour la revitalisation de la langue michif et s’est tourné vers des locuteurs aînés pour orienter un projet avec Canadian Geographic. L’initiative comprend la traduction en michif de la section consacrée aux Métis dans l’Atlas des peuples autochtones du Canada, la création de balados mettant en valeur la langue michif, une campagne avec le « mot michif du jour » et un documentaire sur la culture métisse et la langue michif, ainsi qu’une série de ressources et d’outils éducatifs supplémentaires.
Le projet est important pour faire du michif une priorité de financement à tous les ordres de gouvernement et pour sensibiliser les Canadiens au fait que le michif est la seule langue née d’une combinaison de langues des Premiers Peuples et des nouveaux arrivants, explique Charlene Bearhead, directrice de la réconciliation pour la Société géographique royale du Canada, l’éditeur de Canadian Geographic, et ancienne responsable de l’éducation pour l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées et pour le Centre national pour la vérité et la réconciliation. « Si ce n’est pas un motif de ‘fierté nationale’, dit Mme Bearhead, je ne sais pas ce que c’est. »
Selon elle, les gouvernements doivent valoriser la préservation des langues autochtones et prendre la responsabilité d’ajuster les critères de financement du courant dominant occidental afin de financer pleinement les programmes mentor-apprenti. Ironiquement, l’une des principales pierres d’achoppement au financement qui pourrait sauver une langue gravement menacée est le mot « apprenti », déplore-t-elle. Les bailleurs de fonds doivent trouver un autre terme qui englobe le travail de sauvegarde de la langue. Les 1,2 million de dollars accordés à la Nation métisse de la Saskatchewan ne représentent pas grand-chose sur deux ans, comparativement à l’argent que le gouvernement consacre à d’autres projets de moindre importance, signale Mme Bearhead. Elle fait également remarquer que les systèmes de financement du gouvernement sont conçus de manière à créer une impression de rareté, ce qui oblige les peuples autochtones à se faire concurrence pour obtenir des fonds afin de sauver leurs langues, qui sont d’une importance cruciale.
Quoi qu’il en soit, M. McCreery reste optimiste. « Je pense qu’avant que nous perdions tous nos locuteurs, nous aurons d’autres locuteurs de premières langues. Je pense aussi qu’au fil du temps, au fur et à mesure que les situations changent, beaucoup plus de personnes pourront participer, et nous aurons effectué le travail nécessaire pour qu’elles puissent atteindre l’objectif d’apprendre à parler leur langue. »
« L’un des aspects positifs, c’est qu’il y a dix ans, les gens ne préoccupaient pas autant de la question de la langue. Ils commençaient tout juste à prendre conscience de l’importance de nos langues », indique-t-il. « Mais les aînés en ont toujours été conscients. »
Au printemps 2019, sept étudiants métis en première année du programme de formation des enseignants autochtones en milieu urbain de la Saskatchewan de l’Université de Regina quittent la ville pour se rendre dans la vallée verdoyante de la Qu’Appelle, sur le site historique de la ferme Lebret, l’un des endroits où, à l’époque de la chasse au bison, les Bois-Brûlés ont donné vie à la langue michif. Entre les années 1850 et 1870, une communauté michif y a vu le jour et, dans les années 1930, des missionnaires catholiques y ont établi une ferme métisse dont les vestiges tiennent encore debout : des bâtiments abandonnés, des maisons et une grande grange subsistent au milieu d’hectares d’herbes hautes, d’érables du Manitoba, de peupliers, de cerisiers de Virginie et d’amélanchiers. Pour ces étudiants, le site servira de camp linguistique michif.
Pendant trois semaines, chaque jour d’école, les élèves du professeur Russell Fayant se joignent à six locuteurs aînés pour apprendre le michif dans le cadre d’un programme mentor-apprenti modifié. Les élèves suivent un cours à l’occidentale d’une heure sur les rudiments de la langue, comme la grammaire, la prononciation et la conjugaison des verbes, avant de rejoindre les « anciens » pour faire des activités en petits groupes durant lesquelles ils s’expriment uniquement en michif. Trois à quatre jours sont consacrés à chacun des cinq thèmes liés à la langue : les salutations, la cuisine et la nourriture, la terre, le travail et la célébration. Les étudiants et les aînés parlent le michif ensemble pendant qu’ils cueillent des plantes médicinales dans l’ancienne zone d’hivernage des Bois-Brûlés.
L’étudiante Dani LaValley n’en revenait pas de voir tout ce qu’ils étaient capables de comprendre après seulement quelques jours. « L’apprentissage a été très rapide, d’autant plus que tous les aînés parlent couramment le michif. Je me suis sentie à l’aise de le parler moi-même. C’était génial. Je suis très rapidement devenue beaucoup plus à l’aise », affirme Mme LaValley. « La présence d’étudiants de mon âge avec qui apprendre a rendu le programme amusant, fait-elle remarquer. De plus, cela fournissait d’autres interlocuteurs avec qui s’exercer en dehors du camp. » La plus grande satisfaction de Mme LaValley a cependant été de dire une phrase spontanément et d’être comprise par les aînés.
Le professeur Fayant explique qu’il a remplacé un programme en classe de 16 semaines correspondant à trois crédits par un camp linguistique immersif de trois semaines correspondant à six crédits parce qu’il n’avait pas constaté d’acquisition authentique de la langue en classe. Aussi extraordinaire que puisse être le camp, les parties prenantes sont conscientes que trois semaines ne suffiront pas à sauver la langue. Alors que l’Institut Gabriel Dumont et le programme de formation des enseignants autochtones en milieu urbain de la Saskatchewan s’efforcent de mettre en œuvre des programmes de certificat de langues dans les universités de la Saskatchewan, le domaine du travail mentor-apprenti reste ouvert à tous les groupes à but non lucratif susceptibles d’obtenir des fonds pour les administrer.
Mme LaValley continue de s’exercer à dire des phrases et lit régulièrement ses documents en michif. « Si je pouvais obtenir du financement pour aller vivre avec un aîné pendant quelques mois et apprendre en tête-à-tête avec quelqu’un qui parle couramment la langue, ce serait formidable. Il pourrait ainsi y avoir beaucoup plus de locuteurs du michif. En attendant, les seules options que nous avons, réellement, sont ces cours ou ce camp qui sont offerts de temps en temps », indique Mme LaValley.
« Notre langue est notre culture. Elle reflète ce que nous sommes en tant que peuple. Sans notre langue, notre culture s’éteint. La langue est une grande partie de ce que nous sommes en tant que Métis, et il est essentiel que nous la transmettions à la prochaine génération et à toutes celles qui suivront. »
Environment
How the Sahtuto’ine Dene of Délı̨nę created the Tsá Tué Biosphere Reserve, the world’s first such UNESCO site managed by an Indigenous community
People & Culture
The story of how a critically endangered Indigenous language can be saved
People & Culture
« Nous en avions assez de nous cacher derrière les arbres. » Les flux et reflux de l’histoire des Métis telle qu’elle s’est déroulée sur les rives de l’Ontario
People & Culture
“We were tired of hiding behind trees.” The ebb and flow of Métis history as it has unfolded on Ontario’s shores