People & Culture

Parler avec les mains : se réapproprier la langue des signes des Autochtones des Plaines

La langue des signes des Autochtones des Plaines a été utilisée pendant de nombreuses générations pour permettre aux peuples autochtones de communiquer entre eux malgré les idiomes et la distance qui les séparaient. Le temps est venu de se la réapproprier.

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Lanny Real Bird, Ph. D. (à gauche), fait le signe « je sais » ou « c’est exact » à Floyd Favel (à droite), qui l’aide en lui indiquant le geste à faire.
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Un été, alors qu’il n’avait qu’une vingtaine d’années, l’artiste de théâtre Floyd Favel s’est rendu à une cérémonie de danse du soleil dans la vallée de la Qu’Appelle, dans le sud de la Saskatchewan. Un aîné assiniboine du Montana l’aperçoit et lui fait signe de s’approcher.

Intrigué, il s’approche. L’aîné fait d’autres gestes avec ses mains. Le jeune Floyd est stupéfait. « Alors je lui ai demandé : Connaissez-vous cette langue des signes? Et il a répondu : Oui! Alors je lui ai dit : Montrez-moi d’autres signes! Et il m’a montré d’autres signes. »

Enfant puis jeune homme, Floyd Favel, dont la langue maternelle est le cri, avait vu sa grand-mère sourde, Philomine Star, faire des gestes similaires. Mais ce fut une révélation pour lui de voir un aîné d’une autre région des Prairies, qui n’était pas sourd, utiliser les mêmes gestes pour communiquer.

« Au fond, cela a ouvert une porte sur un monde d’apprentissage et de possibilités », explique M. Favel sur Zoom depuis le Chief Poundmaker Museum, à environ 200 kilomètres au nord-ouest de Saskatoon.

Au cours des quatre décennies qui se sont écoulées depuis, M. Favel a appris beaucoup de choses afin de parfaire son savoir sur ces gestes que faisaient sa grand-mère et l’aîné assiniboine. D’ailleurs, il a lui-même appris la langue.

Il s’avère que ces signes proviennent d’une ancienne lingua franca, ou langue commune, utilisée par des générations de peuples autochtones dans la région des Grandes Plaines de l’Amérique du Nord pour communiquer lorsqu’ils ne parlaient pas la même langue. Cette langue des signes universelle, qui a évolué bien avant l’arrivée des colonisateurs anglais, français et espagnols, était un fil conducteur qui permettait de relier des communautés très éloignées les unes des autres. Souvent mobiles sur de longues distances, les membres des diverses communautés avaient besoin d’échanger des informations sur le commerce, les bisons, la chasse, la nourriture, l’eau, les directions, les déplacements, la guerre et même les relations. Mais comme leurs langues étaient souvent très différentes les unes des autres, la langue des signes des Autochtones des Plaines est née de ces interactions. Cette langue était également utilisée lors des cérémonies sacrées, des débats oratoires et des séances de contes. 

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Il est probable qu’à une certaine époque, les enfants apprenaient les signes comme une seconde langue maternelle, imbriquée dans la langue parlée. Autrefois, la plupart des peuples autochtones d’Amérique du Nord, qu’ils soient sourds ou non, pouvaient communiquer avec leurs mains, explique Melanie McKay-Cody, linguiste et anthropologue à l’Université de l’Arizona à Tucson. Elle est l’une des rares spécialistes au monde de la langue des signes de la communauté sourde autochtone, ainsi que de la langue des signes des peuples autochtones d’Amérique du Nord.

Aujourd’hui, le fil est presque rompu. Comme tant d’autres langues autochtones, la langue des signes des Plaines a presque disparu. Il n’y a peut-être qu’un millier de personnes qui la parlent couramment et beaucoup d’entre elles sont âgées. Certains sont tombés dessus par hasard et souhaitent la préserver. Pour beaucoup, la connaissance de l’existence même de la langue est plus un rêve flou qu’une certitude, si tant est qu’elle existe.

« Ce n’est peut-être qu’un souvenir. C’est ce que pensent la plupart des gens de la jeune génération. C’est comme une mémoire collective des grands-parents », explique Mme McKay-Cody, sourde d’origine Cherokee, sur Zoom, par l’intermédiaire d’un interprète en langue des signes américaine.

Pourtant, un mouvement fragile a vu le jour, non seulement pour retrouver la longue et remarquable histoire de la langue des signes des Autochtones des Plaines, mais aussi pour se réapproprier la langue elle-même. M. Favel, par exemple, organise des ateliers annuels pour l’enseigner, et il a également créé une méthode de théâtre autochtone originale qui s’appuie sur la langue et qu’il enseigne à des créateurs de théâtre à l’échelle internationale. Il rêve qu’un jour, il pourra faire de cette langue un symbole interculturel de réconciliation.

« Je crois en la langue des signes. J’y crois en tant que vision, en tant que méthode, en tant qu’art », confie-t-il.

M. Favel et Real Bird donnent un atelier à la Nation crie de Poundmaker.
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Lanny Real Bird.
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LA LANGUE, CE N’EST PAS QUE DES MOTS. Une langue encode en elle-même des informations relatives à l’époque, au lieu et à la société dans lesquels elle est apparue. Elle contient des valeurs et des idées. Elle nous relie à l’histoire, à la culture et à la terre, au rituel et à la famille. C’est notre patrimoine.

« Que serions-nous sans le langage, en tant qu’êtres humains? Je ne sais pas vraiment », souligne Christopher Hammerly, professeur de linguistique à l’Université de Colombie-Britannique.

M. Hammerly étudie la grammaire de sa langue ancestrale, l’anishinaabemowin (ojibwe), dans un but scientifique. Mais l’objet de son étude est bien plus qu’une entreprise académique. « Je peux dire que, du point de vue des Ojibwés, la langue est aussi le moyen de communiquer avec les ancêtres. Elle revêt donc également une dimension spirituelle dans de nombreux cas. »

Cela signifie que la perte d’une langue est richement symbolique, surtout à une époque où la menace d’autres pertes est si omniprésente, qu’il s’agisse d’espèces, de certitudes climatiques ou d’anciens modes de vie.

« Une grande partie de la diversité est en déclin de diverses manières, explique M. Hammerly. Il s’agit donc peut-être, d’une manière très générale, du sentiment que la nuance de l’expérience humaine et de la culture est en danger. »

En outre, la disparition de la langue des signes des Autochtones des Plaines est le reflet de l’impulsion coloniale plus large visant à éradiquer le savoir autochtone. La langue s’est développée précisément grâce aux liens entre les différentes communautés. Au fur et à mesure que ces communautés s’éloignaient les unes des autres et des bisons qui les liaient, des échanges et du commerce, la langue elle-même s’est estompée. Puis, lorsque les gens ont été chassés de leurs terres et confinés dans des réserves, lorsque les enfants ont été enlevés et que les langues autochtones orales se sont tues, la langue des signes s’est encore affaiblie.

« Une femme qui vit dans le nord du Montana m’a dit : Vous savez, la langue des signes a été la première à disparaître », se remémore Mme McKay-Cody. « C’est ce qu’elle m’a confié. Et c’est déchirant. »

Les participantes à l’atelier Veronica Sinclair (à gauche) et Heather O’Watch (à droite) font le signe « acheter » ou « achat ».
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MAIS COMMENT la langue des signes des Autochtones des Plaines est-elle née? Son histoire est encore en cours de reconstitution, explique Mme McKay-Cody. Elle sait que la langue des signes des Autochtones des Plaines n’était pas la seule langue des signes utilisée dans le passé, et qu’elle ne l’est pas non plus aujourd’hui. Elle est cependant unique en ce sens qu’elle est utilisée sur une si grande partie du continent et dans un si grand nombre de familles linguistiques.

Selon le système de classification mis au point par Mme McKay-Cody, la langue des signes des Autochtones des Plaines est une variante régionale de la famille linguistique globale de la langue des signes des Autochtones d’Amérique du Nord, également connue sous le nom de « Hand Talk » (parler avec les mains). Outre les variations régionales, certaines communautés ont également leur propre langue des signes tribale. Mme McKay-Cody, par exemple, a appris les langues des signes Kiowa, Northern Cheyenne et Crow et continue de parfaire son apprentissage lorsqu’elle travaille avec des gens de ces communautés qui parlent la langue des signes. 

Sabina Sweta Sen Podstawska fait le signe « tipi ».
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Mais bien avant que la langue des signes des Autochtones d’Amérique du Nord n’évolue, les peuples autochtones ont incorporé des versions bien plus anciennes des signes dans des panneaux rocheux, a découvert Mme McKay-Cody. Elle a travaillé avec l’archéologue Carol Patterson, basée au Colorado, pour étudier l’art rupestre. Parmi d’autres sites, Mme Patterson a analysé des symboles datant probablement de 1 600 ans au McConkie Ranch, dans le nord-est de l’Utah. Mme McKay-Cody a identifié les signes, tandis que Mme Patterson a déterminé l’âge des inscriptions. 

Lors de l’appel Zoom, Mme McKay-Cody montre le symbole de l’art rupestre indiquant où trouver de l’eau : une ligne horizontale se terminant par un demi-cercle. Le symbole signé de l’eau est similaire : la ligne horizontale de l’avant-bras se terminant par une main en coupe. Le symbole rupestre d’un aîné – la forme d’une personne avec un bâton en guise de canne – correspond également au symbole signé.

Certains panneaux rocheux datent d’il y a environ 8 000 à 4 000 ans, selon Mme McKay-Cody. La langue des signes des Autochtones des Plaines a évolué par la suite, mais on ne sait pas exactement de quelle façon.

Ce qui est clair, c’est que cette langue est linguistiquement inhabituelle – et fascinante, selon Elaine Gold, directrice du Musée canadien des langues au campus Glendon de l’Université York à Toronto. Celle-ci a pris conscience de la portée de cette langue il y a quelques années, lorsque le musée a organisé une exposition sur les langues des signes utilisées au Canada. 

La plupart des autres espèces de lingua franca, ou langues utilisées pour communiquer par des personnes qui ne partagent pas une langue parlée, ne sont pas signées. Quelques exemples : les créoles ou les pidgins. La plupart ont une langue dominante qui fournit la majeure partie du vocabulaire. Par exemple, le créole haïtien, qui est aujourd’hui, avec le français, la langue officielle d’Haïti, est né des interactions entre les Africains réduits en esclavage et les colonisateurs français à Saint-Domingue aux XVIIe et XVIIIe siècles. Selon Mme Gold, cette domination linguistique est le reflet de la hiérarchie sociale. En revanche, la langue des signes des Autochtones des Plaines n’a pas d’influence linguistique dominante. 

« Je crois en la langue des signes. J’y crois en tant que vision, en tant que méthode, en tant qu’art. »

« C’est une sorte de rencontre entre égaux », dit-elle.

D’autres langages non verbaux ont tendance à être étroitement liés à une langue spécifique plutôt que d’être une lingua franca, explique Mme Gold. Par exemple, les Yorùbá du sud-ouest du Nigeria communiquent non seulement des sentiments, mais aussi des mots et la grammaire yorùbá à l’aide d’une famille de tambours de différentes tailles appelés dùndún. Les habitants de l’île de La Gomera, dans les îles Canaries, communiquent à distance en espagnol à l’aide de sifflets. Et, contrairement à d’autres langues des signes, la langue des signes des Autochtones des Plaines n’a pas été développée pour les sourds. 

Une autre anomalie? Ce n’est pas une langue maternelle traditionnelle. Cela signifie qu’en dehors des personnes sourdes, celles qui l’utilisent, même si elles y sont culturellement liées, peuvent ne pas avoir le même attachement émotionnel profond que celui qu’elles ont pour leur propre langue maternelle. 

« Il est plus facile pour ce type de langues de disparaître », explique Mme Gold.

Mais son histoire est longue, riche et profondément enracinée. L’une des premières références non autochtones à la langue des signes des Autochtones des Plaines se trouve dans les récits d’un voyage effectué en 1528 par le colonisateur espagnol Álvar Núñez Cabeza de Vaca. Il a indiqué que les peuples autochtones de Tampa Bay utilisaient des signes et qu’il a pu communiquer par signes au cours des huit années de voyage qu’il a passées dans ce qui est aujourd’hui le Texas et le Mexique, quelle que soit la langue parlée des gens qu’il a rencontrés. 

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Les participants à l’atelier Marc et Anhelina Ostapyk, Nakoda Hunter, Sabina Sweta Sen Podstawska et Crystal Wolfe s’exercent à faire le signe de ce qui pourrait être « pousser » ou le début du signe pour « fait » ou « complet ».
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Au cours du même siècle, les colonisateurs espagnols Christophe Colomb et Francisco Vázquez de Coronado ont également constaté l’utilisation de la langue des signes par les peuples autochtones. Au XIXe siècle, les études officielles sur la langue des signes des Autochtones des Plaines avaient explosé. Les officiers militaires et les anthropologues européens ont appris son histoire auprès des peuples autochtones et ont documenté les signes individuels. Plusieurs ont même créé des dictionnaires. 

Nombreux sont ceux qui ont tenté de déterminer à quel point cette pratique avait été répandue par le passé. L’anthropologue britannique Edward Burnett Tylor écrivait en 1865 que « les mêmes signes servent de moyen de conversation de la baie d’Hudson au golfe du Mexique ». Des rapports de fonctionnaires du gouvernement canadien datant d’avant 1879 décrivent l’utilisation de la langue des signes chez les Ktunaxa (Kootenay) et les Séliš (Salish) en Colombie-Britannique.

En 1881, l’ethnologue américain Garrick Mallery a conclu, après de nombreuses études, que la langue des signes des Autochtones des Plaines était à une époque une langue universelle dans toute l’Amérique du Nord. (D’autres, dont Mmer McKay-Cody, affirment que cette pratique n’était pas si répandue.) La première tentative de documenter le nombre de personnes qui parlent la langue des signes aux États-Unis – Mme McKay-Cody affirme qu’il s’agit également de la dernière – a eu lieu en 1890, bien après que l’usage ait atteint son apogée. Lewis Hadley, un missionnaire américain, a trouvé 102 460 personnes parlant cette langue dans 29 tribus de la région des Plaines et d’ailleurs. (Mme McKay-Cody a découvert que son addition était erronée. Le chiffre réel était de près de 111 000.) 

En faisant revivre la langue des signes, on opère une guérison culturelle, car on permet désormais aux gens de s’exprimer, de faire des gestes, de bouger, de signer.

L’enregistrement le plus étonnant de la langue est peut-être un film réalisé il y a près d’un siècle par le major-général Hugh L. Scott. M. Scott, qui approchait alors les 80 ans, avait été chef d’état-major de l’armée américaine. Il se passionnait pour la langue des signes des Autochtones des Plaines. En 1931, il a déclaré à un journaliste du New York Times qu’il s’agissait « d’un élément essentiel de la culture des Plaines, dérivé du bison ». M. Scott a étudié cette langue, l’a pratiquée partout où il le pouvait et a souvent échangé du café et du sucre contre des leçons de White Bear, une connaissance cheyenne. Il a même utilisé des signes lors de sa cérémonie de mariage pour s’assurer que les spectateurs autochtones puissent comprendre.

Alarmé par le déclin rapide de la langue, M. Scott a persuadé le Congrès de lui donner 5 000 $ (l’équivalent d’environ 120 000 $ aujourd’hui) et a invité les chefs de nombreuses tribus à s’asseoir devant une caméra de cinéma lors d’un conseil de trois jours en 1930 à la Blackfeet Agency à Browning, dans le Montana. Dix-huit chefs se sont réunis dans un immense tipi, vêtus de coiffes et de costumes traditionnels décorés de façon complexe, tandis que de nombreux autres membres de leurs communautés se réunissaient hors champ. Le résultat n’est pas seulement un vocabulaire, mais une archive d’histoires, de blagues et même de sarcasmes communiqués couramment en langue des signes des Autochtones des Plaines.

« La langue des signes des Plaines est remplie de poésie, d’intensité dramatique et de feu oratoire », a déclaré M. Scott au Times. Il souhaitait que les scouts du monde entier apprennent la langue, déclarant au Times que la langue pourrait alors avoir « une carrière encore plus grande que celle qu’elle a eue avec les Autochtones des Plaines. » Sir Robert Baden Powell, fondateur du mouvement scout, a approuvé l’utilisation de la langue par le groupe comme moyen de créer une cohésion au sein des troupes. Le salut universel des scouts est adapté des signes « loup » et « éclaireur » Pendant un certain temps, la langue des signes des Autochtones des Plaines a été exigée pour les scouts de première et de deuxième classe.

Cette attention internationale, il y a près d’un siècle, a permis de documenter la langue, explique Mme McKay-Cody. Mais il s’agissait aussi de l’appropriation d’une tradition autochtone complexe dans le but de former des garçons pour qu’ils réussissent dans le monde des colonisateurs. D’après ses recherches, les scouts modernes n’apprennent plus la langue.

M. Favel fait un mouvement signifiant quelque chose de haut, ou au-dessus.
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Les scouts n’ont peut-être pas été les seuls à utiliser les signes développés par les peuples autochtones. Les recherches de Mme McKay-Cody suggèrent que certains éléments de la langue des signes américaine, la langue des signes la plus utilisée par les sourds en Amérique du Nord, pourraient provenir d’une langue des signes autochtone qu’elle appelle la langue des signes autochtone du Nord-Est. Elle était utilisée depuis la côte est du continent, au-delà des Grands Lacs et vers le sud, presque jusqu’à ce qui est aujourd’hui la Floride et le Texas.

Si l’histoire enseigne que la langue des signes américaine s’est développée après que l’éducateur Thomas Gallaudet a ramené une version française de Paris et fondé ce qui est aujourd’hui l’American School for the Deaf dans le Connecticut, Mme McKay-Cody souligne que les commerçants français ont eu de nombreux contacts avec les commerçants autochtones au Canada.

« Si l’on regarde en arrière, on peut se demander s’il s’agit plutôt d’une voie détournée. La langue est-elle née dans le nord-est du pays à partir de ces Autochtones, puis s’est répandue en France et est revenue? Mme McKay-Cody participe à des recherches sur l’évolution de la langue des signes américaine.

Aujourd’hui, c’est une véritable course contre la montre pour trouver des personnes qui utilisent encore la langue des signes des Autochtones. Au Canada, depuis 2019, le gouvernement fédéral reconnaît officiellement la langue des signes des Autochtones des Plaines comme une langue autochtone, toutes considérées comme menacées. Mme McKay-Cody a écrit dans sa thèse de doctorat en 2019 que la version des Plaines de la langue des signes est « sur le point de mourir ». La plupart des personnes qui l’utilisent aujourd’hui ont plus de 60 ans, confie Mme McKay-Cody, et certaines sont fragiles. Un aîné qui faisait partie de son groupe de recherche est décédé récemment, ce qui représente une perte considérable sur le plan personnel et linguistique.

Mais de temps en temps, Mme McKay-Cody s’étonne à nouveau de la portée secrète de la langue. Elle me raconte qu’elle se trouvait dans une épicerie autochtone d’une petite ville du Montana et qu’elle s’est aperçue que deux clients discutaient tranquillement avec leurs mains.

« Je les voyais se signer l’un l’autre, c’était incroyable », dit-elle.

M. Favel fait le signe « aller ». S’il utilisait ses deux mains, ce serait le signe d’une entrave ou d’un blocage du mouvement de quelqu’un.
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M. Favel fait le signe « je suis parti » ou « je sors ».
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M. FAVEL A COMMENCÉ À SE CONCENTRER sur la langue des signes des Autochtones des Plaines en 2019. Il a passé des décennies à étudier le théâtre et à en jouer, notamment au Danemark et en Italie. Mais il voulait créer une méthode originale de théâtre autochtone. La langue des signes était au cœur de ce projet.

« Elle m’a donné une orientation et une lumière, me dit-il. La langue des signes a été l’outil de liaison de toute une vie de travail et de recherche théâtrale et culturelle. La langue des signes a permis d’unifier le tout. »

Elle est intégrée à sa pratique artistique de multiples façons et pour de nombreuses raisons. Dans un exemple, il utilise une histoire signée comme image centrale d’une pièce, et ses élèves construisent la dramaturgie et la chorégraphie autour de cette histoire. Il a construit une scène qui est une manifestation physique de sa vision du monde autochtone. Les idées qui sous-tendent la langue sont précoloniales, formées bien avant l’arrivée des colons.

« La langue des signes est un moyen de communication donné par l’esprit, explique-t-il. C’est ainsi que nous avons acquis notre culture, par le biais de nos histoires et de nos mythes, de nos rêves, de nos visions et de la communication. »

La langue est également intimement liée au cri, la langue maternelle de M. Favel, et à d’autres langues autochtones, car elle a évolué avec elles. Mais elles sont intrinsèquement construites différemment de l’anglais. « Il s’agit d’une méthode autochtone très différente de l’anglais. La façon dont nous composons nos images internes et nos verbes est très différente », explique M. Favel.

Par exemple, le cri est une langue basée sur le verbe qui décrit comment et quand une personne a fait quelque chose, explique M. Favel. Mais l’ordre des mots est interchangeable. En fait, l’art de la langue crie consiste à assembler les phrases de manière originale. Les méthodes modernes d’enseignement des langues sont basées sur l’anglais, la langue des colons, qui organise la grammaire différemment. Il est donc difficile d’enseigner le cri et de le revitaliser.

« La langue des signes des Plaines est remplie de poésie, d’intensité dramatique et de feu oratoire. »

L’intuition de M. Favel a été de réaliser que le cri parlé est également composé à moitié de signes et de gestes. Ainsi, l’apprentissage de la langue des signes des Autochtones des Plaines, dans laquelle chaque signe est accompagné d’un mouvement, est une manière abrégée d’apprendre le cri.

« En faisant revivre la langue des signes, on opère une guérison culturelle, car on permet désormais aux gens de s’exprimer, de faire des gestes, de bouger, de signer, affirme M. Favel. Vous leur donnez la permission de bouger leurs corps et leurs mains et de faire revivre 50 % de la langue crie. »

Il s’est tourné vers Lanny Real Bird, un ancien de la communauté Crow qui vit sur le territoire de la Crow Agency dans le Montana et qui est l’une des rares personnes à parler couramment le langage des signes des Plaines.

Lorsque Real Bird était enfant, le langage des signes était courant chez les anciens de la tribu des Crow, me dit-il au téléphone. Il avait l’habitude d’observer les personnes qui signaient et de mémoriser leurs gestes, ce qui lui permettait d’enrichir son vocabulaire. Un oncle lui a appris à communiquer par signes lorsqu’ils chassaient et devaient rester silencieux, et à utiliser des signes lorsqu’ils se préparaient pour les cérémonies.

Mais ce n’est que lorsqu’il était préadolescent, lors de pow-wow et de rodéos régionaux, qu’il s’est rendu compte que les personnes d’autres communautés parlant d’autres langues utilisaient également des signes. Il a commencé à poser des questions et s’est rendu compte que les signes formaient un langage international incarnant les enseignements spirituels autochtones.

M. Favel fait le signe pour « dormir ».
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« Cette langue est belle parce qu’elle a beaucoup à voir avec l’environnement, explique-t-il. Cela a beaucoup à voir avec la façon dont nous voyons le monde et la nature, dont nous comprenons l’univers, dont nous interprétons la signification de l’eau, du vent, du feu et de la terre. »

Finalement, Real Bird, qui est titulaire d’un doctorat en éducation, a commencé à rédiger un livre illustré de la langue des signes et à l’enseigner à d’autres personnes, sourdes et entendantes. Comme M. Favel, il utilise la langue des signes pour enseigner aux autres sa propre langue maternelle, celle du peuple Crow. Sa chaîne YouTube compte 13 vidéos et plus de 900 abonnés. Il est devenu l’un des plus éminents professeurs de langue des signes des Autochtones des Plaines au monde, enseignant dans des écoles du Montana et du Dakota du Nord. 

Récemment, Real Bird est entré dans la salle de déjeuner d’une école du Dakota du Nord. Trente élèves se sont retournés pour le regarder, et dix d’entre eux, qui l’avaient reconnu en raison de ses vidéos, ont commencé à lui faire des signes. C’était un moment inspirant. Mais malgré ses efforts, et en dépit d’un mouvement nord-américain visant à revitaliser les langues autochtones, l’utilisation de la langue des signes diminue dans sa communauté au fur et à mesure que les aînés meurent, dit-il.

M. Favel s’est donné pour mission d’inverser ce recul. Il présente des conférences dans les universités et des séminaires en ligne sur la langue. Au cours des cinq derniers étés, il a organisé des ateliers de quatre jours sur la langue des signes des Autochtones des Plaines au Poundmaker Performance Festival de la Première Nation crie de Poundmaker, en Saskatchewan, dans le cadre de sa méthode d’interprétation autochtone. Il affirme qu’il s’agit du seul atelier cohérent en Amérique du Nord à proposer un enseignement dans cette langue. Real Bird donne les cours. Tout le monde est bienvenu.

Les participants apprennent entre 40 et 100 signes pendant les quatre jours de la formation, en fonction de leur intérêt. Selon M. Favel, une personne qui connaît 500 signes peut tenir une conversation fonctionnelle, qu’elle soit autochtone ou non, sourde ou entendante.

Il a des rêves audacieux. Et si les non-Autochtones pouvaient communiquer activement avec les Autochtones en utilisant la langue des signes des Autochtones des Plaines? Si cette langue prend un nouvel essor, elle pourrait ouvrir de nouvelles portes, non seulement sur le langage, mais aussi sur quelque chose d’encore plus profond.

« Elle est à la limite du mouvement, de la communication, de l’intuition, de la danse, de l’ouverture et de la confiance. Car c’est ce dont on a besoin quand on parle une langue des signes. Vous devez toujours écouter avec vos yeux en regardant le visage, les mains et le corps de la personne qui parle, afin d’être vraiment en contact avec elle. La langue des signes nous offre un moyen de communication qui va au-delà des structures existantes. »

Selon lui, il s’agit ni plus ni moins que d’entrer dans l’ancienne vision du monde des Autochtones, épargnée par les préjugés encodés dans la langue des colonisateurs.

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