People & Culture

Les rivières de la résistance : une histoire de la Métis Nation of Ontario

« Nous en avions assez de nous cacher derrière les arbres. » Les flux et reflux de l’histoire des Métis telle qu’elle s’est déroulée sur les rives de l’Ontario 

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Au début des années 1990, Art Bennett a tenté de se faire inculper de braconnage d’un orignal près de Sault Ste. Marie (Ontario). En tant que leader de la communauté Métis, lors de la relecture du texte de la Loi constitutionnelle de 1982, il s’est arrêté à l’article 35, lequel reconnaissait les droits des peuples autochtones du Canada. « Je me suis dit : “Bon sang! On a les mêmes droits de récolte que les Premières Nations!” », se rappelle Bennett. Il a donc rassemblé sa fratrie et ses cousins pour leur expliquer que les droits de récolte de leur communauté – en tant que Métis – étaient protégés en vertu de la nouvelle loi. Les membres de sa famille l’ont dévisagé. « Mais comment allons-nous en faire la preuve? », lui ont-ils demandé. « Il va falloir qu’on nous accuse », a répondu Bennett. « Aller en cour. »

Bien que les Métis étaient reconnus comme l’un des trois peuples autochtones dans la loi de 1982, la Couronne ne reconnaissait pas les droits – s’il y en avait – des Métis. Dans l’histoire, les droits des Métis et des communautés et personnes métisses avaient été ignorés ou exclus par la Couronne. Ainsi, de nombreux Métis qui récoltaient pour subvenir aux besoins de leur famille et de leur communauté dans l’ensemble de la patrie métisse avaient été accusés de braconnage et de pêche illégale tout au long du 20e siècle. Vers la fin des années 1980 et au début des années 1990, les gouvernements fédéral et provinciaux évitaient toujours les processus politiques et les tables de négociations pour aborder la question des droits des Métis.

Mais tandis que ce schéma de refus se mettait en place, un paradigme profondément ancré de résistance métisse s’est également développé. Au lieu d’attendre que les gouvernements reviennent à la table de négociation, les récolteurs métis et leurs communautés ont commencé à se tourner vers les tribunaux pour s’assurer que la promesse qui leur avait été faite en 1982 soit tenue. C’est ainsi qu’a commencé la « chasse à la justice » des Métis, ceux-ci ayant revendiqué devant les tribunaux canadiens leur droit constitutionnel de chasser pour se nourrir. « Nous en avions assez de nous cacher derrière les arbres, dit Bennett. C’était le bon moment, la Constitution était nouvelle, et nous voulions prouver que ce qu’elle contenait était juste. »

Bennett a donc récolté un orignal et apporté sa peau au vieux bureau du ministère des Richesses naturelles, lequel faisait la promotion du programme « Hats for hides » (une casquette contre une peau). L’agent au comptoir a demandé à voir le permis de Bennett. Bennett lui a répondu qu’il n’en avait pas. « Le type était franchement étonné de voir que j’amenais une peau sans détenir de permis. Il m’a demandé qui avait tué l’orignal, et j’ai répondu que c’était moi. » L’agent, perplexe, a quitté la pièce pour ne revenir que dix minutes plus tard. À son retour, il a dit à Bennett qu’il allait devoir l’inculper. « Bien », a répondu Bennett. Puis, il a ajouté : « Et où est ma casquette? »

Ce jour-là, Bennett est reparti avec une casquette, mais sans accusation.

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Or, peu de temps après, le 22 octobre 1993, Steve Powley, le cousin de Bennett, et son fils Roddy ont quitté leur domicile de Sault Ste. Marie. Ils ont mis le cap au nord et ont tué un orignal près de la route Old Goulais Bay, qui serpente en milieu forestier à l’extrémité ouest de l’écorégion de la baie Georgienne. Ils ont attaché une carte de Métis à l’oreille de la bête, en plus de laisser une note manuscrite qui disait : « Je récolte ma viande pour l’hiver. »

« Ils l’ont rapporté à la maison, l’ont dépouillé, puis nettoyé – on les dépèce », explique Brenda Powley, la veuve de Steve Powley. Ensuite, deux agents de protection de la nature du ministère des Richesses naturelles se sont présentés à leur porte. Une semaine plus tard, ils étaient accusés de chasse sans permis et de possession d’un orignal chassé illégalement. Alors qu’on avait offert une casquette à Bennett, le cas des Powley, lui, allait se rendre jusqu’à la Cour suprême du Canada. Durant leur longue bataille juridique, ils ont pu compter sur le soutien de la Métis Nation of Ontario, gouvernement métis nouvellement créé, et de son président fondateur Tony Belcourt.

« Nous avons été forcés de nous faufiler à travers la forêt comme des criminels », écrivait Belcourt dans un article paru dans le Globe and Mail en 2000. « Un témoin métis au procès [Powley] a expliqué que des agents de protection de la nature de l’Ontario ont fouillé sa maison à la recherche de poisson, armes au poing – sachant que seuls de jeunes enfants se trouvaient à la maison. Malgré la Constitution, le gouvernement de l’Ontario a continuellement refusé de reconnaître notre droit de chasser. »

La défense des Powley a également été soutenue par le Ralliement national des Métis, la voix nationale de la nation métisse qui comprend la Métis Nation of Ontario et quatre autres gouvernements de la nation métisse. Dans son mémoire rédigé par Clément Chartier (qui a été président du Ralliement national des Métis de 2003 à 2021) et l’avocat métis Jason Madden, lequel fait référence au rapport de la Commission royale sur les Peuples autochtones, le Ralliement national des Métis a affirmé devant la Cour suprême ce qui suit : « La communauté métisse de Sault Ste. Marie fait partie de la nation métisse. Le rapport de la CRPA la reconnaît comme étant l’une des plus anciennes du Canada. » L’avocate métisse Jean Teillet, arrière-petite-nièce de Louis Riel, a dirigé l’équipe de défense juridique des Powley et de la Métis Nation of Ontario.

Il a fallu une décennie de longues procédures judiciaires pour que la Cour suprême confirme que les Powley, en tant que membres de la communauté métisse de Sault Ste. Marie, exerçaient leur droit de chasse au titre de l’article 35 (protégé par la Constitution) en tant que membres d’un peuple autochtone. Ayant obtenu gain de cause à tous les niveaux du système juridique, les Powley – et le test Powley, un processus en dix points permettant d’établir les droits des Métis au titre de l’article 35 – ont changé l’histoire des Métis à tout jamais. Le jugement Powley « a défini le critère juridique auquel les communautés métisses de l’Ontario et de l’ouest ont eu recours à plusieurs reprises – et sur lequel elles se sont appuyées avec succès », a écrit James Madden dans un article paru en 2021 dans l’Osgoode Hall Law Journal.

L’affaire Powley a marqué un tournant dans la revendication des droits des Métis au Canada. Historiquement, les droits collectifs des Métis (souvent appelés « sang-mêlé » dans les documents historiques, notamment dans la loi de 1870 sur le Manitoba, les documents relatifs aux certificats des Métis et les recensements) n’ont pas été reconnus par la Couronne (voir barre latérale « Sang-mêlé » et autres noms ci-dessous). Dans un jugement de 2011, la Cour suprême a reconnu ce qui suit : « Bien que largement reconnus comme formant un peuple autochtone culturellement distinct et vivant dans des communautés culturellement distinctes, les Métis voyaient leur histoire et leurs besoins uniques ignorés par le droit. » Cela a créé un système dans lequel les Métis ont été accusés de chasse et de pêche « illégales » tout au long du 20e siècle. L’affaire R. c. Powley, ainsi que les « affaires types » relatives aux droits de récolte des Métis qui ont suivi au Manitoba, en Saskatchewan et en Alberta, ont renversé ce refus pour une nouvelle génération de récolteurs métis.

En rejetant les nombreuses excuses avancées par les gouvernements successifs de la Couronne pour nier les droits de récolte des Métis, la Cour suprême a reconnu que la reconnaissance des droits des Métis « découle de l’impératif constitutionnel requérant que nous [le Canada] reconnaissions et confirmions les droits ancestraux des Métis, personnes dont les origines sont postérieures au contact initial avec les Européens ». Pour qu’une communauté métisse détienne des droits protégés par la Constitution, elle doit disposer de « données démographiques pertinentes, mais aussi faire la preuve que le groupe concerné partage des coutumes, des traditions et une identité collective ». Les formes historiques et contemporaines de résistance et d’affirmation collective sont fondamentales pour la reconnaissance juridique des communautés métisses. Bien que l’affaire Powley ait eu un effet transformateur, les Métis de l’Ontario revendiquaient leurs droits en tant que peuple autochtone distinct depuis près de deux siècles avant que l’orignal de Powley ne fasse la une des journaux.

« Quand la décision a été rendue, cela a fait énormément de bruit », se rappelle Brenda Powley, avant de marquer une pause et de ricaner. « Je crois que nous avons choqué tout le monde à Ottawa! » Un article paru dans le Métis Voyageur clamait : « Pour la Métis Nation of Ontario, voire pour tous les Métis du Canada, cette journée pourrait bien marquer l’événement le plus important depuis le procès de Louis Riel. »

Pour Powley, un homme modeste, c’était très simple : « C’est pour mes enfants », avait-il déclaré dans une entrevue donnée à l’époque. « Je ne cherche rien, je ne veux rien, je souhaite juste qu’on respecte mon droit de chasser et celui de ma famille. Et tant que je serai sur cette planète, laissez-moi tranquille; laissez-moi chasser comme je devrais le faire, c’est-à-dire en vivant de la terre. »

L’affaire Powley a mis en lumière les revendications collectives historiques et modernes de la communauté métisse dans la région des Grands Lacs supérieurs et de ses affluents. Souvent, l’histoire des Métis dans la région des Grands Lacs supérieurs a été ignorée ou considérée comme moins importante que les événements bien connus de la vallée de la rivière Rouge ou comme un simple prolongement de l’histoire des Premières Nations dans la région. Or, les preuves historiques présentées dans l’affaire Powley sont indéniables : les Métis de l’Ontario défendent leurs droits en tant que groupe distinct depuis le tout début.

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L’eau est le grand connecteur dans un paysage sillonné de voies navigables. Les colonies métisses se sont développées le long des rivières et des Grands Lacs, à la faveur du commerce des fourrures, de la fin du 17e siècle au début du 19e siècle. « Le processus par lequel les Métis ont vu le jour a dû attendre que les voyageurs et les coureurs des bois français atteignent la région des Grands Lacs. Même là, le processus a été lent et s’est limité à des lieux uniques, généralement les postes de traite des fourrures », a écrit Fred Shore, chercheur en études autochtones à l’Université du Manitoba, en 2006.

L’isolement de ces postes de traite des fourrures a entraîné la création d’un réseau de communautés métisses reliées par l’eau. Tout comme les rivières, les personnes, langues et traditions métisses ont circulé entre ces communautés et de l’Ontario vers l’ouest, à travers les territoires métis. Les rivières et les voies navigables étaient, et demeurent, au cœur de l’identité et des modes de connaissance des Métis. « Pour nous, c’étaient des autoroutes, explique Bennett. Mes tantes, oncles et grands-parents connaissaient très bien les eaux et où se trouvaient les voies sécuritaires, où étaient les hauts-fonds, par où passer et où trouver du poisson. »

Dans le jugement Powley, la Cour suprême a statué ce qui suit : « Une communauté métisse peut être définie comme étant un groupe de Métis ayant une identité collective distinctive, vivant ensemble dans la même région et partageant un mode de vie commun. » Dans la région des Grands Lacs supérieurs, les communautés métisses subsistent encore aujourd’hui. En 2017, la province de l’Ontario, après des années de recherches historiques et de négociations avec la Métis Nation of Ontario, a reconnu six communautés métisses historiques supplémentaires qui répondaient aux critères établis dans le jugement Powley de 2003, en plus de la communauté métisse de Sault Ste. Marie.

Ces communautés historiques et contemporaines sont reliées non seulement par des voies navigables physiques, mais aussi par des réseaux de parenté qui relient les familles métisses à travers les territoires et par leur résistance permanente au contrôle non autochtone. En 2017, la Métis Nation of Ontario a publié des documents primaires sur les lignées familiales métisses vérifiées, identifiant les « ancêtres racines » métis objectivement vérifiables et leurs descendants qui ont constitué les communautés historiques métisses porteuses de droits en Ontario. 

Selon la Métis Nation of Ontario, cela « a compris l’examen et la compilation d’au-delà de 100 000 documents historiques » et a permis d’identifier « des centaines d’ancêtres racines métis issus de communautés métisses historiques bien reconnues en Ontario ».

Tant que les rivières continueront de couler, les communautés métisses de la région des Grands Lacs supérieurs continueront à faire valoir ces droits acquis après plus de deux siècles de résistance et de lutte.

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Le spectre des soulèvements métis s’est répandu dans toute la région des Grands Lacs supérieurs à la suite de la guerre de 1812, et à de nombreuses reprises, les Métis de l’Ontario se sont opposés à la violation de leurs droits et à l’empiétement sur leurs terres traditionnelles.

En 1838, la crainte d’un soulèvement métis était palpable dans les pages du livre de correspondance de la Compagnie de la Baie d’Hudson. On peut y lire que les leaders métis Louis Nolin et Louis Garneau ont organisé un bal (voir barre latérale Vous irez au bal ci-dessous) du côté américain de la rivière Ste-Marie à Sault Ste. Marie, au Michigan, ce que l’on craignait être une tactique d’organisation. Le fils de Garneau, Laurent Garneau, activiste métis et violoniste émérite, a plus tard participé à la Résistance de la rivière Rouge, ce qui n’est qu’un exemple du fait que les soulèvements métis en Ontario ont été, et sont toujours, liés à des histoires de résistance dans l’ensemble de la patrie métisse.

Le soulèvement s’est poursuivi tout au long des années 1830 et 1840, la Couronne refusant systématiquement de dialoguer avec les communautés métisses historiques en tant que collectivités, une dynamique de résistance et de refus qui se maintiendra pendant des décennies. (Puisque les Métis ne faisaient pas partie des bandes des Premières Nations, ils n’étaient pas considérés comme admissibles aux paiements ou aux cadeaux prévus dans le cadre des traités.) Le refus colonial s’appuyait sur la position fondamentale adoptée par l’agent des Indiens Thomas Gummersall Anderson qui, en 1842, avait rédigé un document intitulé « The mode of excluding Half-breeds from receiving Presents » (Le mode d’exclusion des sang-mêlé de la réception de cadeaux), dans lequel il déclarait que c’était un crime d’offrir des cadeaux « à des personnes dont la peau est en partie blanche ». Il ajoutait également qu’« aucun sang-mêlé ne peut recevoir de cadeau s’il ne vit pas dans une tribu, et sous le contrôle du chef ». Anderson concluait d’une remarque indiquant qu’il n’entrevoyait aucune difficulté « pour empêcher la classe impropre de sang-mêlé de recevoir des cadeaux à l’île Manitoulin et à Penetanguishene ». Les communautés métisses historiques de la région des Grands Lacs supérieurs constituaient cette « classe impropre de sang-mêlé » qui avaient formé leurs propres communautés, distinctes à la fois de leurs proches européens et des Premières Nations. Dans une déclaration sous serment faite en 1893, Joachim (Joshan) Biron, de la communauté métisse de Sault Ste. Marie, a rappelé que « seuls quatre d’entre nous ont accepté de joindre sa bande [celle du chef Shingwaukonce] – moi (Joshan Biron), mon frère Alexis Biron, John Bell et Luison Cadotte. Tous les autres sang-mêlé ont déclaré qu’ils étaient suffisamment indiens sans avoir à se soumettre à l’autorité d’un chef indien. » 

En 1839, plusieurs Métis ont confronté le surintendant en chef des Affaires indiennes Samuel Jarvis à Penetanguishene. Jarvis a écrit : « En juillet dernier, alors que j’étais à Penetanguishene, plusieurs d’entre eux ont encerclé la maison dans laquelle je me trouvais dans le but de revendiquer et d’obtenir ce qui selon eux était leur droit, tant que le gouvernement continuerait la distribution de cadeaux aux Indiens. »

Bien que les noms de ces Métis soient inconnus, ils agissaient collectivement au nom de la communauté métis de Penetanguishene. Nombre de leurs descendants vivent toujours au sein de la communauté métisse historique de la baie Georgienne.

Les Métis ont aussi eu recours à une stratégie répandue parmi les peuples autochtones à l’époque : envoyer des pétitions au gouvernement. Dans celles-ci, ils se présentaient souvent au gouverneur général comme des « loyaux sujets ». En 1840, 22 « sang-mêlé résidant dans la ville de Penetanguishene » ont envoyé une pétition au gouverneur général afin qu’il reconnaisse leurs droits en tant que peuple distinct. « Vos pétitionnaires se sont toujours comportés comme de loyaux sujets, et bon nombre d’entre eux, lorsqu’on les a appelés à agir, ont servi dans la milice, et seront toujours prêts à répondre à l’appel si leurs services sont requis », ont fait valoir les leaders métis. « Vos pétitionnaires prient très humblement votre Excellence de prendre leur cas en considération et de leur permettre de bénéficier des mêmes avantages que les personnes de la même classe (vivant à Sault Ste. Marie [sic] et à d’autres endroits sur les rives du lac Huron), grâce à la remise de cadeaux à leur intention et à celle de leurs familles. »

Les pétitions au nom des communautés métisses historiques de Sault Ste. Marie et de la baie Georgienne sont reconnues par l’historien Lawrence Barkwell comme étant deux des quatre premières pétitions métisses jamais rédigées, les autres ayant été rédigées au nom de Métis du Minnesota et de la rivière Rouge.

Cependant, les Métis ne se sont pas contentés d’écrire des lettres pour défendre leurs droits.

Le 1er novembre 1849, les tensions ont fini par éclater lorsque plusieurs Métis et Anishinaabeg ont « emprunté » un canon et ont monté à bord d’une goélette pour se rendre à la baie Mica afin de fermer une mine qui était exploitée sans leur permission. Selon les traditions orales des Anishinaabeg, un autre groupe, plus petit, a voyagé par voie terrestre, allumant plusieurs énormes feux le long de la rive nord-est du lac Supérieur. Certains prétendent que c’était pour guider l’expédition, tandis que d’autres croient plutôt qu’il s’agissait d’une stratégie pour faire croire aux autorités que la rébellion était bien plus importante qu’elle ne l’était. Trois leaders métis (dont Eustace Lestage, un ancêtre des Powley et des Bennett alors âgé de 16 ans, ainsi que son frère Pierre), trois leaders Anishinaabeg et deux individus non autochtones ont été arrêtés et emmenés pour être jugés à Toronto. Ils ont éventuellement été libérés, mais la résistance anticoloniale n’a jamais cessé au sein des communautés métisses de la région.

Le soulèvement de la baie Mica a poussé la Couronne à signer les traités Robinson-Huron et Robinson-Supérieur, mais les communautés métisses de Sault Ste. Marie et des environs en ont été exclues. Quand le commerçant de fourrures et politicien William B. Robinson a été envoyé dans les régions du lac Huron et du lac Supérieur pour établir des traités en 1850, lui aussi a refusé de dialoguer avec les Métis en tant que collectivité. « Je leur ai dit que j’étais venu pour m’entretenir avec les chefs présents, que l’argent serait versé aux chefs », a écrit Robinson. Les chefs « peuvent donner autant d’argent à cette classe de demandeurs [les “sang-mêlé”] qu’ils le désirent ». Puisque les Métis avaient formé leurs propres communautés, ils n’étaient pas considérés comme étant admissibles aux paiements des traités, même si les leaders anishinaabeg soutenaient leurs revendications.

Les Métis de la région des Grands Lacs supérieurs et de certaines parties de l’Ontario n’ont jamais cédé leurs droits collectifs, et subsistent encore aujourd’hui. Cependant, certains ont rejoint des communautés des Premières Nations, alors que d’autres ont été considérés comme « blancs » par les étrangers. « Mon grand-père, Leonard Lesage, venait de la bande de Batchewana, et a donc été l’un des premiers à être acceptés dans le traité Robinson-Huron, explique Bennett. Il a pris le statut d’Indien, mais d’autres membres de la famille ne l’ont pas fait. Je suppose qu’ils croyaient fermement qu’ils étaient des Métis, qu’ils n’étaient pas des Indiens. »

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Rangée du haut, de gauche à droite : Mitch Case, Margaret Froh (présidente de la MNO) Rangée du bas, de gauche à droite : Jo Anne Young (membre du conseil de la MNO), Steve Powley et Tony Belcourt.
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La Métis Nation of Ontario représente désormais les droits collectifs des communautés métisses de la région des Grands Lacs supérieurs et de certaines parties de l’Ontario. Cela comprend les descendants des Métis de Sault Ste. Marie et de Penetanguishene qui se sont mobilisés pour défendre leurs communautés et leurs droits en tant que peuple distinct il y a près de deux siècles. « Avant, [le gouvernement] ne voulait pas dialoguer avec nous. Maintenant, il doit le faire, explique Brenda Powley. C’est une grande fierté de nous avoir vus partir de rien pour arriver à quelque chose… ce n’est pas seulement une personne, ce n’est pas seulement une communauté, c’est tout le monde en Ontario. »

Aujourd’hui, les artistes, les écrivains et les travailleurs culturels montrent la voie à suivre pour les communautés métisses historiques de l’Ontario et la nation métisse dans son ensemble, grâce à la réappropriation et à la continuation des histoires métisses. « C’est génial, car on peut voir tous nos noms là-dessus, nos noms de famille », dit Wenzdae Dimaline-Manchester, artiste et perleuse métisse de la communauté de la baie Georgienne, dont les ancêtres ont signé la pétition de Penetanguishene. « Cette histoire, celle de ma famille qui était l’une des premières à se battre pour défendre nos droits, ça me rend très fière. » 

« Je souhaite juste qu’on respecte mon droit de chasser et celui de ma famille. Et tant que je serai sur cette planète, laissez-moi tranquille; laissez-moi chasser comme je devrais le faire. »

Et la résistance continue de couler dans les veines des citoyens et détenteurs de droits métis contemporains, car ils continuent de défendre leurs droits collectifs et d’utiliser les connaissances culturelles de la communauté de manière profondément émouvante. La mère de Dimaline-Manchester, l’auteure Cherie Dimaline, est à l’avant-garde de la narration de l’histoire et de la culture des Métis. Dans le prologue de son roman Empire of Wild, elle écrit : « Les vieux remèdes ont tendance à rester dans les mémoires, à hanter la terre d’où ils proviennent. Les gens oublient. Les remèdes, non. » En se réappropriant et en racontant ces vieilles histoires – et en ravivant les liens de parenté et les relations sociales – les communautés métisses de l’Ontario continuent d’être reliées par des rivières de relations et des routes de résistance.

En 2017, les membres du conseil des jeunes de la Métis Nation of Ontario ont organisé ce qu’ils ont appelé une « révolution du perlage ». Mitch Case, ancien président du conseil des jeunes et actuel conseiller régional au conseil provisoire de la Métis Nation of Ontario – et perleur en demande – estime qu’à travers le perlage, les artisans métis « se réapproprient l’art de notre peuple, un art que nous avons créé, et clament ainsi devant le monde entier que nous sommes fiers d’être Métis ».

Par le biais de leur travail, les artistes assurent la souveraineté des Métis dans le futur. La Métis Nation of Ontario a récemment annoncé la création de l’Institut Powley, lequel se concentrera sur les arts, la culture et l’histoire des Métis, veillant ainsi à ce que l’histoire et la culture des Métis demeurent au cœur des priorités du gouvernement autonome de la Nation.

Kelly Duquette est citoyenne de la Métis Nation of Ontario, avocate et artiste. En tant que peintre, Duquette réfléchit de manière critique au processus de peinture et incorpore du perlage à ses œuvres. « Je me sers du perlage pour commenter la façon dont j’essaie d’assembler le tout, explique Duquette. Je résiste toujours. Nous sommes résilients. Nous sommes toujours là. Nous ne sommes plus exactement comme nous l’étions, mais nous sommes toujours là. »

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« Sang-mêlé » et autres noms

Les Métis et leurs communautés ont également été désignés par d’autres noms au fil des ans. Ces noms figurent fréquemment dans les documents historiques issus de la région des Grands Lacs supérieurs, d’autres régions de l’Ontario et des Prairies. On relève également plusieurs formes du nom « Métis » dans les documents historiques issus de la région des Grands Lacs supérieurs et d’autres régions de l’Ontario, notamment « Metif », « Metiff », « Metis » et « Metes ».

Le terme racialisé « sang-mêlé » figure largement dans les documents historiques de l’Ontario, et réfère à la fois aux personnes et aux communautés. En 1846, le lieutenant-colonel Richard Henry Bonnycastle a écrit qu’à Penetanguishene, « on voit d’abord les sang-mêlé, la progéniture des blancs et des rouges, qui ont tous les défauts des deux et très peu de leurs qualités, sauf dans de rares cas ». Le terme « sang-mêlé » est désormais considéré comme désuet et offensant, surtout lorsqu’il est employé par les non-Métis. Or, aujourd’hui, certains citoyens métis ont choisi de se réapproprier le terme « sang-mêlé ». L’ouvrage d’A.C. Osbourne intitulé « The Migration of Voyageurs from Drummond Island to Penetanguishene in 1828 », publié par la Société historique de l’Ontario en 1901, comprend de nombreuses histoires orales de membres de la communauté s’exprimant de leur propre voix, et pas moins de 20 utilisations du terme « sang-mêlé ».

Il est évident, d’après les documents historiques, que les personnes désormais représentées par la Métis Nation of Ontario ne sont pas simplement des personnes d’ascendance mixte. Par exemple, lors d’une épidémie de scarlatine à Penetanguishene en 1843-1844, un médecin a distingué les différentes « races » de la région – que nous considérerions aujourd’hui comme des communautés ethniques distinctes – pour inclure les Canadiens français, les Britanniques, les Indiens Chipawa (sic) et les « sang-mêlé, selon leur nom local commun, et qui ont des parents indiens et français ou indiens et britanniques ». Trois ans plus tard, Sault Ste. Marie était qualifiée de « village canadien de sang-mêlé ». Des documents du gouvernement datant de 1862 font référence aux zones de pêche des « sang-mêlé de Penetanguishene ». Cette communauté est distinguée des Premières Nations et des Canadiens français.

Lors du recensement de 1901, de nombreux membres des communautés métisses sont répertoriés en tant que « FB », l’abréviation de « French Breeds » (race française). Dans ce même recensement, d’autres membres des communautés – souvent des cousins, des tantes et des oncles des personnes identifiées en tant que « FB » – sont identifiés en tant que Français. La malléabilité de l’identité métisse dans les documents historiques a été reconnue par la Cour suprême dans le jugement Powley : « Nous reconnaissons que, souvent, des groupes de Métis sont sans structures politiques et que leurs membres ne s’identifient pas constamment comme Métis. » Le jugement Powley a invalidé toute référence aux « liens du sang » en tant que facteur d’acceptation par la communauté.

Ces noms ont peut-être changé au fil du temps, mais le sentiment d’identité distincte en tant que peuple demeure.

Vous irez au bal

Un examen des documents historiques du 19e siècle montre l’importance des bals et de la musique de violon des Métis, notamment en raison de l’étendue du territoire parcouru par les Métis et de la nature saisonnière de leur travail. En 1876, un article paru dans le Boston Globe et intitulé « Dance in a Log House » (Danse dans une maison de rondins) décrivait un bal organisé quelque part sur la rive nord du lac Supérieur, « avec les collines et les chutes de Michipicoten comme toile de fond ».

« Le violoniste s’est mis à jouer. Pour briser la glace, qui semblait être très épaisse, deux d’entre nous ont suivi les instructions de notre pilote et se sont dirigés vers les partenaires de leur choix. Nous avons dit “Ne mee dah?” (Voulez-vous danser?) de la manière la plus directe possible à deux jeunes squaws [sic]… La danse était française en quatre et huit. Des rafraîchissements ont été servis à minuit, et comprenaient du thé, des craquelins, du sucre d’érable, du beurre pour nous et du lard pour les Indiens. Les Français de sang-mêlé sont beaucoup plus pittoresques. Ce sont de beaux hommes, qui portent des turbans cramoisis et forment des groupes impressionnants en s’appuyant sur leurs pagaies. »

Ces rencontres sociales ou bals ont joué un rôle crucial dans le développement de communautés métisses distinctes et, en fait, ont rassemblé les diverses communautés qui composent la diversité de la nation métisse.

Vers 1845, un journal a publié le compte-rendu d’une « soirée dans le Soo ». La date est importante, car elle se situe entre la crainte d’une rébellion métisse menée par Louis Nolin et Louis Garneau en 1838 à Sault Ste. Marie et l’incident de la baie Mica en 1849. Cette « soirée dans le Soo » fut un grand succès, selon le journaliste ayant participé à l’événement. « Hier soir, une fête a eu lieu ici, à laquelle nous avons été gentiment invités. La soirée s’est déroulée dans une maison de rondins de bonne taille, située dans la rue principale du village. Je ne crois pas qu’un groupe aussi hétéroclite ait jamais été vu auparavant. Il y avait des Français, des Canucs, des Bankees et des sang-mêlé. La danse était le principal divertissement, et tout le monde y participait. »

La distinction faite entre les Canadiens français, les Canucs (probablement des loyalistes britanniques), les Bankees (un terme qui fait probablement référence aux Bangiis ou aux « sang-mêlé » écossais de la rivière Rouge) et les « sang-mêlé » locaux, ou les Métis, est claire. Dans toute la région des Grands Lacs supérieurs, il existait des distinctions ethniques entre les diverses communautés eurodescendantes, métisses et des Premières Nations. Le violon était l’élément musical central de ces bals de « sang-mêlé » dans la région des Grands Lacs supérieurs, ainsi que plus à l’ouest.

Un peuple intimement lié à la terre

Nous, les Métis, sommes un peuple intimement lié à la terre, ce lien étant le fondement de notre histoire, de nos traditions et de notre culture. Nous appelons ces terres le territoire ancestral métis. Ce territoire s’étend des lacs et des rivières de l’Ontario jusqu’aux régions septentrionales des Territoires du Nord-Ouest, passant par les vastes prairies et les montagnes de la Colombie-Britannique. Il englobe les collines et les vallées des États américains au nord et au centre. Ce sont nos terres. Ce sont des terres métisses. Ce sont les terres de notre passé, dont nous dépendons aujourd’hui et que nous considérons comme le fondement précieux de notre avenir. » – Vision fondatrice de la Métis Nation of Ontario, 1993

Dylan Miner (@wiisaakodewinini) est citoyen de la Métis Nation of Ontario. Il est professeur et doyen du Residential College in the Arts and Humanities de l’Université de l’État du Michigan. Il est également artiste visuel. Courtney Vaughan est une chercheuse et écrivaine métisse basée à Sault Ste. Marie (Ontario). Alexander Young est un illustrateur métis basé à London (Ontario). 

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This story is from the September/October 2022 Issue

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Rivers of resistance: A history of the Métis Nation of Ontario

“We were tired of hiding behind trees.” The ebb and flow of Métis history as it has unfolded on Ontario’s shores 

  • 4409 words
  • 18 minutes

People & Culture

Kahkiihtwaam ee-pee-kiiweehtataahk : faire revivre la langue

Comment une langue autochtone gravement menacée peut être sauvée

  • 7440 words
  • 30 minutes

History

L’histoire inédite de la Compagnie de la Baie d’Hudson

Une rétrospective des débuts de l’institution fondée il y a 350 ans, qui revendiquait autrefois une part importante du globe

  • 5124 words
  • 21 minutes

People & Culture

Kahkiihtwaam ee-pee-kiiweehtataahk: Bringing it back home again

The story of how a critically endangered Indigenous language can be saved

  • 6318 words
  • 26 minutes
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