Les écosystèmes arctiques, les toiles de vie complexes qui relient les organismes microscopiques aux baleines, aux ours polaires et aux humains, sont méconnus de la science. En fait, la plupart d’entre eux n’ont jamais fait l’objet d’études. Il est urgent de comprendre ces écosystèmes, dit Eddy Carmack, océanographe émérite à Pêches et Océans Canada, afin que le Canada puisse protéger des zones écosensibles et assurer la gestion responsable de son environnement nordique. Pour ce faire, Carmack travaille avec des scientifiques du Canada, des États-Unis et de la Norvège.
L’équipe de recherche, soutenue en partie par Savoir polaire Canada, travaille dans une zone du passage du Nord-Ouest située entre le golfe Coronation et l’inlet Chantrey (Nunavut). « Nous avons choisi cet endroit entre autres parce qu’il est plus au sud, dit Carmack. Comme il y fait plus chaud que dans d’autres régions de l’archipel Arctique, tout changement s’y produisant pourrait être annonciateur de changements ailleurs dans l’Arctique. » Mais encore plus important, dit-il, ces écosystèmes marins sont entourés de grands bassins versants avec des rivières qui y jettent d’énormes quantités d’eau douce. Cela influence la biologie et la circulation de l’ensemble du système.
Recherche interdisciplinaire
Il est essentiel de comprendre ce que ces rivières apportent dans l’océan, et à quel moment, et pour ce faire, il faut mobiliser des scientifiques à l’expertise très différente. « Le maître mot est connectivité, explique Carmack, la connectivité entre l’océan et les bassins versants avoisinants et avec l’océan Pacifique, alors que les courants apportent l’eau du Pacifique dans la région et l’y fait circuler; et la connectivité entre les domaines scientifiques, c’est-à-dire, entre des océanographes physiciens, des océanographes chimistes et des biologistes. »
De même, l’expertise inuite est essentielle au travail de Carmack. Cette année, ses collègues et lui ont examiné des zones qui sont toujours libres de glace en raison de forts courants de marée. Les Inuits connaissent ces endroits — dont la dimension va de la taille d’une piscine à quelques kilomètres de large – qui sont pour eux de bons terrains de chasse aux phoques pendant la saison des glaces.
Des résultats de recherche préliminaires suggèrent que la biodiversité est généralement beaucoup plus riche dans ces petites polynies que dans les zones environnantes, peut-être parce que les courants mélangent de grandes quantités de nutriments et transportent le plancton jusqu’aux animaux benthiques (animaux vivant sur les fonds des mers). Pour essayer de confirmer son hypothèse, l’équipe examine ces créatures, comme des anémones et des myes, qui filtrent les aliments dans l’eau et dont le corps peut enregistrer des décennies de changements dans l’environnement local.