People & Culture
Source de vie : La relation entre Fort Chipewyan et l’eau
À l’aide de photographies et d’entretiens, la photographe canadienne Sara Hylton fait état des dommages causés par l’homme à Fort Chipewyan, une petite communauté du nord de l’Alberta
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Published Sep 22, 2023
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Updated Feb 20, 2025
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1,331 words
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6 minutes
Fort Chipewyan est une communauté née de l’eau. Sur la rive nord-ouest du lac Athabasca, à l’extrême nord de l’Alberta, les habitants tirent depuis longtemps leur subsistance du lac et de ses affluents pour la pêche, de la chasse, du piégeage et de la cueillette d’herbes médicinales. Mais depuis quelques décennies, la petite communauté, où se mêlent des membres de la Première Nation crie Mikisew, la Première Nation des Chipewyans d’Athabasca, la Nation métisse de Fort Chipewyan et des colons, s’est retrouvée involontairement à l’avant-scène de la crise climatique. La communauté a connu des hivers plus chauds qui ont fait fondre leur route de glace, seule voie d’accès à la communauté. Elle a été témoin des feux de forêt de plus en plus fréquents et intenses et de la fumée qui engloutit leur village. Cette année, les habitants ont dû être évacués pendant trois semaines. L’eau est moins abondante et la santé des habitants et de la faune décline. Les ravages sont d’origine humaine : changement climatique, érection de barrages dans différentes zones du bassin versant et, peut-être le plus dommageable de tous, la situation de Fort Chip en aval des sables bitumineux de l’Alberta. Des études récentes ont révélé des niveaux élevés de contaminants dans les cours d’eau, et dans les poissons et les animaux que les gens consomment. Ces contaminants sont associés à des taux élevés de cancers rares. En février, les habitants de Fort Chip ont appris que des eaux usées contenant de l’arsenic, des hydrocarbures, des sulfates et des sulfures s’étaient écoulées, neuf mois plus tôt, dans le bassin versant et dans les terres avoisinantes à partir d’un bassin de résidus de la compagnie Imperial Oil, dans le cadre de son projet au lac Kearl, situé à l’extérieur de Fort McMurray. Pendant des mois et avant que la fuite ne soit découverte, les membres de la communauté avaient consommé des aliments provenant de la région. Ici, les aînés et les résidents racontent l’histoire de l’eau de Fort Chip dans leurs propres mots.
L’eau ici, c’est notre autoroute. Je connais le delta. Je connais ses moindres recoins, je sais qui s’y trouve et ce qui s’y trouve. L’eau est une présence importante ici dans la communauté, au même titre que toute personne. L’eau, c’est la vie. Nous dépendons de l’eau. Nous respectons l’eau. Lorsque nous allons sur l’eau, nous lui rendons hommage. Nous déposons un peu de tabac dans l’eau, ou n’importe quoi d’autre, et nous demandons simplement à nos grands-pères de nous aider. Aidez-nous à faire bon voyage.
À la fin des années 1960, le barrage hydroélectrique de Bennett a été construit sur la rivière de la Paix, dans le nord de la Colombie-Britannique. Je me souviens que mon oncle Fred, qui était alors le chef, a dit que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial de la Colombie-Britannique avaient affirmé que notre delta ne serait pas touché. Mais lorsque le réservoir du barrage de Bennett a commencé à se remplir, notre delta s’est aussitôt mis à s’assécher. Et sans eau, il n’y a pas de rats musqués.
Depuis les années 1970, nous vivons en aval des industries des sables bitumineux, et le lac Athabasca est leur décharge. Je suis inquiet de la qualité des herbes médicinales que je prélève dans l’eau. L’industrie nous accule au pied du mur. En tant qu’Autochtones de la Nation dénée, tenter de la combattre est complètement futile. Nous devons donc faire des compromis et parvenir à [un accord] dans lequel les membres de l’industrie seraient enclins à nous aider. C’est un sentiment très humiliant.
Mes grands-parents, ma mère, mon père, ma grand-mère m’ont [tous] dit que mon rôle ici bas était de veiller sur notre mère la Terre pour nos petits-enfants et ceux à venir. C’est pour cette raison que je ne travaille pas chez Syncrude. Ce n’est pas une nécessité pour moi. Je suis à l’aise. Je ne suis pas riche, mais mon histoire l’est. Mes petits-enfants sont ma richesse.
– Alice Rigney, aînée, Première Nation des Chipewyans d’Athabasca
« L’eau est aussi importante que quiconque dans cette communauté. L’eau, c’est la vie. Nous dépendons de l’eau. Nous respectons l’eau. Lorsque nous allons sur l’eau, nous lui rendons hommage. »
J’ai grandi à Fort Chipewyan, mais j’ai surtout vécu dans le bois à Big Point, à 32 kilomètres (20 miles) à l’est, avec mes grands-parents. J’ai pêché sur le lac Athabasca et j’ai piégé avec mon grand-père.
Le gouvernement a déclaré que l’industrie de la pêche à Fort Chipewyan n’était plus viable. Ils nous ont dit : « Vous ne pourrez plus pêcher comme vous l’avez fait pendant des siècles. Vous ne pourrez pas subvenir aux besoins de votre famille autant que vous le voudriez. »
Certains habitants de Fort Chip se disent que l’industrie pétrolière « nous donne de l’argent et qu’elle prend soin de notre communauté. » Et puis d’autres, les vrais et fiers Métis et les membres des nations Mikisew et Chipewyan qui qui veulent subvenir à leurs propres besoins ne veulent rien savoir de l’industrie. Et ce sont ces personnes-là qui sont vraiment les plus touchées par la situation.
– Kendrick Cardinal, président de la Nation métisse de Fort Chipewyan
J’ai été membre du conseil municipal. Nous avons maintenant une piscine à Fort Chip parce qu’on nous a dit que les sédiments du lac étaient trop pollués pour se baigner ici. Lorsque l’eau est calme, c’est correct. Mais vous savez ce qui se passe quand des enfants jouent dans l’eau.
– David Blair, résident de Fort Chipewyan
J’ai travaillé à la station d’épuration d’eau pendant 28 ans. Je bois toujours l’eau du robinet. Si elle a une odeur de chlore, ça veut dire qu’elle est assez bonne pour la boire. J’ai eu un cancer du colon en 1995. Je crois que c’est parce que j’ai mélangé du chlore en poudre à l’usine et que j’ai dû en inhaler. Avant même que je sois informé de mon cancer, je pouvais sentir le goût du chlore dans ma bouche.
– Feu Fred « Jumbo » Fraser, ancien président de la Nation métisse de Fort Chipewyan
J’ai travaillé à Syncrude pendant 34 ans. Je sais ce qu’ils mettent dans les bassins de décantation des résidus. Cela me surprend encore aujourd’hui, en tant que chef. Ils ne devraient jamais être autorisés à mettre quoi que ce soit dans l’eau. Mais c’est pourtant ce qui s’est passé.
Je suis retourné à Fort Chip quand je suis devenu chef. Je suis donc maintenant de l’autre côté de la table. Et lorsque les compagnies pétrolières disent qu’elles vont rejeter ces résidus avec les effluents, je leur réponds : « Non, vous n’allez pas faire ça. » Nous devons continuer à faire un suivi de la qualité de l’eau; il est très important que nous surveillions l’évolution de la situation.
– Feu chef Peter Powder, ancien chef de la Première Nation crie Mikisew
« Nous n’allons pas blâmer l’industrie pour tout ce qui va mal, mais nous voulons du respect pour la terre sur laquelle nous vivons. Nous voulons partager nos connaissances avec l’espoir qu’elles seront aussi bénéfiques aux autres qu’elles l’ont été pour nous. »
Lorsque j’étais enfant, les lignes d’eau étaient beaucoup plus hautes au lac Athabasca. Nous avions l’habitude de nager dans cette eau, et maintenant ce n’est plus possible. Au début des années 2000, David Schindler, de l’Université de l’Alberta, a fait des tests qui ont révélé la présence de produits chimiques dans l’eau. Certains de ces produits sont naturels, mais d’autres proviennent des sables bitumineux. Tout le monde le dit et tout le monde le sait. Ainsi, même si nous n’allons pas tout mettre sur le dos de l’industrie, nous voulons du respect pour la terre sur laquelle nous vivons. Nous voulons partager nos connaissances avec l’espoir qu’elles seront aussi aux autres qu’elles l’ont été pour nous.
– Blue Eyes Simpson, vice-présidente de la Nation métisse de Fort Chipewyan et gestionnaire de secteur de Parcs Canada
Ce photoreportage, entrepris en 2021, s’inscrit dans un projet multimédia soutenu par une subvention de l’Initiative Trebek. trebekinitiative.com