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People & Culture

Notre terre, notre force

Reflecting on 20 years of Canada’s newest territory, Nunavut

[ Available in English ]
a collage of images of Nunavut, including an Inuit child, Aaju Peter, a polar bear, the community of Pond Inlet, Lamech Kadloo, the community of Kugluktuk, ice Expand Image
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Il y a près de 40 ans, tard dans la nuit, alors que je me rendais à Whale Cove depuis Rankin Inlet, au Nunavut, ma motoneige est tombée en panne juste après une pointe de terre appelée Pangniqtut, à peu près à mi-chemin le long de la côte ouest de la baie d’Hudson. Je suis revenu quelques kilomètres en arrière, à l’endroit où j’avais vu une tente. Les occupants, une famille de quatre personnes, étaient tous endormis. J’ai étendu mon sac de couchage sur le sol et je me suis endormi à mon tour. Tôt le lendemain matin, je me suis réveillé avec l’odeur du café. Nattat, un homme que je connais depuis mon enfance, m’en a offert une tasse. Il n’y a pas eu d’alarme, pas de sentiment d’intrusion, juste un accueil.

Les Inuits vivent sur cette terre depuis des milliers d’années. À l’occasion du 20e anniversaire de l’accession du Nunavut au statut de territoire, ce texte est une réflexion sur le peuple, sur la terre et sur l’Accord du Nunavut.

Vue aérienne de Resolute Bay, un hameau inuit sur l’île Cornwallis.
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Le peuple

Les Inuits ont toujours vécu en Sibérie, en Alaska, dans le nord du Canada (y compris le nord du Québec et le Labrador) et au Groenland. Nous parlons une langue commune, l’inuktitut, avec de nombreux dialectes différents. Nous partageons une culture commune. La date exacte de l’arrivée des Inuits en Amérique du Nord reste un mystère. Certains estiment que nous avons migré, en suivant les animaux, à travers un pont terrestre entre la Sibérie et l’Alaska il y a environ 4 000 ans. D’autres affirment qu’il existe des preuves archéologiques de notre présence sur ce continent depuis près de 20 000 ans. Même de nos jours, les Inuits sont peu compris par les gens ailleurs dans le monde. Nous sommes célèbres pour deux choses que nous avons inventées : l’igloo et le kayak.

De mémoire d’homme, Martin Frobisher a atteint l’île de Baffin le 18 août 1576. William Baffin est arrivé plus tard, en 1616, et il a exploré la baie qui porte maintenant son nom. Vers 1719, James Knight est mort près de l’île Marble, dans la baie d’Hudson. Tous ces explorateurs avaient l’habitude d’avancer à tâtons, sans demander leur chemin à personne, à la recherche du passage du Nord-Ouest tant convoité. Le plus célèbre d’entre eux est Sir John Franklin, qui a pris la mer depuis l’Angleterre en 1845. Il s’est perdu et n’a jamais été revu par les Anglais, qui l’ont cherché, lui et ses deux navires, pendant plus de cent ans. Enfin, en 2014, on a retrouvé un premier navire, le HMS Erebus, dans un détroit nommé Umiaqtalik, ce qui signifie « il a un bateau » en inuktitut. De toute évidence, un Inuk avait vu le bateau sombrer dans le détroit. Peut-être aurait-il fallu demander à un Inuk ce que signifie ce nom? Nous sommes présents dans l’Arctique depuis longtemps et nous connaissons plutôt bien l’endroit.

Les Inuits sont un peuple pacifique. Je ne trouve pas, dans mon vocabulaire inuktitut, un seul mot qui signifie armes. Bien sûr, nous avons des harpons et des lances. Nous avons aussi eu des arcs et des flèches. Mais tous ont été conçus pour la chasse, pas pour l’agression. Nous n’avons jamais eu besoin de nous défendre les uns contre les autres avec des armes. C’est pourquoi la propriété foncière n’a jamais été nécessaire. Vous construisez votre hutte, votre igloo ou vous montez votre tente où vous voulez. Vous emballez vos biens et vous les emportez avec vous lorsque vous partez. Les Inuits ont toujours été des nomades, après tout. La terre est à tout le monde.

Des milliers d’oiseaux marins nichent sur les falaises du refuge d’oiseaux migrateurs de l’île Bylot, à l’extrémité nord de l’île de Baffin.
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L’accord

5 décembre 1992

Au moment où j’écris cette lettre, je m’envole à nouveau vers l’ouest, en direction de Winnipeg. Cet après-midi, je rentrerai à Rankin Inlet.

Il est tout simplement étonnant de constater à quel point la terre change sous la surface. Je suppose que mes concitoyens sont encore trop jeunes pour comprendre la valeur de la propriété foncière. Nous avons cédé au moins 82 % de nos terres et la quasi-totalité des droits d’exploitation du sous-sol. Nous avons également supprimé tous les droits des Autochtones. Le tout pour la modique somme de 580 millions de dollars. Notre gouvernement territorial a dépensé plus du double l’année dernière. Et nous recevons l’argent sur 14 ans.

Mais le combat n’a pas été équitable. Nos négociateurs (si l’on peut parler de négociateurs) nous ont dit que chaque fois qu’ils insistaient sur un point, les autorités fédérales se retiraient et qu’ils devaient céder pour les ramener à la table des négociations. Et nous n’avions pas d’avocats. Notre peuple n’a pas compris les termes de l’accord. Chaque fois qu’ils posaient une question juridique, la réponse était : « Demandez aux négociateurs fédéraux ». Et pour couronner le tout, l’inuktitut ne fait pas partie des textes juridiques de l’accord. Comment cela est-il possible alors que la quasi-totalité des soi-disant bénéficiaires de l’accord sont des Inuits? Je ne comprends pas, mais les gens ont tranché; près de 70 % d’entre eux ont dit oui à l’accord. Je suppose que vous pouvez voir que je ne fais pas partie de ces personnes…

Cela fait partie d’une lettre que j’ai écrite à Peter Gzowski, de l’émission Morningside de la CBC, au sujet de l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut de 1993, qui engageait le gouvernement fédéral à créer le territoire du Nunavut. L’Accord du Nunavut qui a suivi, le 1er avril 1999, a divisé les Territoires du Nord-Ouest en deux. Les terres situées à l’ouest de la limite des arbres restaient les Territoires du Nord-Ouest; celles situées à l’est devenaient le Nunavut. Ce nouveau territoire s’étend sur plus de deux millions de kilomètres carrés, soit un cinquième de la superficie du Canada et un peu plus que le Mexique. Les Inuits du Nunavut ont vendu au gouvernement fédéral les droits de surface sur 82 % de leurs terres pour 580 millions de dollars sur 14 ans, mais ce chiffre semblait peu élevé, même pour les négociateurs du gouvernement. Le gouvernement fédéral a donc décidé que l’argent percevrait des intérêts, ce qui représente environ 1,1 milliard de dollars sur ces 14 années.

La population du Nunavut s’élève aujourd’hui à plus de 35 944 habitants, selon le dernier recensement. Les Inuits représentent un peu plus de 83 % de cette population. Nous connaissons une véritable pénurie de logements et le coût de la vie est l’un des plus élevés au monde. Vous pouvez traverser le monde pour le prix d’un billet d’avion de Rankin Inlet à Winnipeg. La route la plus longue fait à peine 108 kilomètres; il n’est pas possible d’entrer et de sortir du territoire en voiture.

Nous avons 20 ans de plus depuis l’entrée en vigueur de l’accord et nous commençons à peine à entrer dans la danse, hésitant à devenir des propriétaires terriens. Nous restons en effet réticents à l’idée de négocier des terres, de les accepter comme une marchandise. Depuis le début de notre gestion du territoire du Nunavut, deux plébiscites ont été organisés, le premier en 1995 et l’autre en 2016, pour demander aux habitants s’ils souhaitaient vendre des terres dans leurs communautés à des propriétaires ou à des entreprises. Les deux fois, la réponse a été un « non » retentissant. Nous attendrons de mieux comprendre la propriété foncière.

Le moment est venu de réexaminer l’accord et d’en renégocier certains aspects. Selon la section relative aux langues (article 2, partie 8, 2.8.1), l’accord est rédigé en anglais, en français et en inuktitut, mais seules les versions anglaise et française font foi. L’inuktitut doit être la langue principale. Après tout, la majorité de la population du Nunavut parle cette langue et nous essayons constamment de renforcer notre langue qui ne cesse de diminuer. C’est la langue du territoire. Nous nous identifions à elle, nous nommons nos lieux avec elle, nous la chantons, nous sommes elle.

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La saxifrage à feuilles opposées pousse dans la toundra du Nunavut dès que le sol dégèle.
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La terre

Le mot Nunavut signifie « notre terre » en inuktitut et le territoire compte 26 communautés. À l’extrémité ouest se trouve Kugluktuk. Son nom – Qurlurniq signifie « rapides de rivière » en inuktitut – fait référence aux eaux turbulentes de la rivière Coppermine. Sur l’île d’Ellesmere, au nord, se trouve le hameau de Grise Fiord, connu en inuktitut sous le nom d’Ausuittuq (« terre qui ne fond jamais »). À l’extrémité orientale du territoire se trouve la communauté de Qikiqtarjuaq (« grande île ») sur une grande île du même nom située à l’est de l’île de Baffin. La communauté la plus méridionale est Sanikiluaq (« elle a un côté trop petit », mais j’ai lu quelque part qu’elle portait en fait le nom d’une personne) sur les îles Belcher dans la baie d’Hudson, juste à l’ouest de la côte septentrionale du Québec.

Le Nunavut est tellement étendu qu’il compte trois fuseaux horaires : l’heure des Rocheuses, l’heure du Centre et l’heure de l’Est. Le territoire s’étend des frontières nord du Manitoba, de l’Ontario et du Québec jusqu’au pôle Nord.

La région de Qikiqtaaluk, ou région de Baffin en français, abrite Iqaluit, la capitale du territoire. Le territoire regorge de montagnes, de fjords et de vallées qui peuvent rivaliser en grandeur avec n’importe quelle région montagneuse du monde. La région de Kivalliq, dans le centre de l’Arctique, présente des plaines de toundra parsemées de milliers de lacs. Il y a de longs eskers, ainsi que des vallées poussées vers le haut et creusées par les montagnes de glace en mouvement lors de la dernière période glaciaire. La région de Kitikmeot, à l’ouest, comprend des parties des îles de l’Arctique. C’est un territoire de collines ondulantes, de rivières déchaînées, de plaines de toundra, d’îles de l’océan Arctique, de nombreuses communautés inuites, de bœufs musqués et du troupeau de caribous de Bathurst, de glace et de neige en hiver, et de champs couverts de minuscules fleurs colorées en été.

Les caribous mettent bas dans la toundra plate du territoire où ils peuvent voir à des kilomètres et garder un œil sur les loups arctiques, leur principal prédateur. Sans oublier les ours polaires. Les habitants d’Arviat, sur la côte ouest de la baie d’Hudson, doivent les affronter chaque automne lorsque les ours migrent vers le nord depuis la frontière du Manitoba, à la recherche de la glace de mer sur laquelle ils pourront chasser leur proie favorite, le phoque. Les Arviarmiut célèbrent Halloween dans leur salle communautaire afin de garder les enfants à l’écart des ours polaires en maraude qui errent parfois dans les rues.

Chaque printemps, des oiseaux de toutes sortes – plectrophanes des neiges, grues du Canada, oies des neiges, cygnes siffleurs, canards, faucons – affluent par milliers au Nunavut pour y pondre leurs œufs. Il existe 11 réserves d’oiseaux migrateurs sur le territoire. Les pingouins et autres oiseaux marins nichent sur les hautes falaises des petites îles du passage du Nord-Ouest et de la baie d’Hudson. Les oies et les canards nichent dans les marais autour du Refuge d’oiseaux de la rivière McConnell, juste au sud d’Arviat. D’autres oiseaux nichent dans la baie de la Reine-Maud, sur la côte de l’océan Arctique. Les oiseaux chanteurs et les oiseaux de rivage trouvent pour leur part des cachettes dans la toundra pour y pondre leurs œufs. À l’automne, après le premier envol de leurs petits, des millions d’oiseaux s’envolent vers le sud.

Juste à l’ouest de l’île d’Ellesmere, à l’extrémité nord du territoire, se trouve l’île Axel Heiberg. Cette île possède à peu près la seule forêt – en quelque sorte – du territoire. Elle abrite les vestiges d’une forêt momifiée de métaséquoias du Sichuan, vieille de 45 millions d’années. Toutes les provinces et tous les territoires du Canada sont représentés par divers symboles officiels : oiseaux, animaux, fleurs et arbres. Mais le Nunavut est le seul à ne pas avoir d’arbre officiel. Peut-être devrions-nous considérer le métaséquoia du Sichuan momifié?

Ladanian Ikuallaq (à gauche) et Puyuaq Uttaq traversent Gjoa Haven en VTT.
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Le territoire
Nous avons organisé une grande fête à Iqaluit le 1er avril 1999, le jour où le Nunavut est devenu une réalité. Nous avons raconté des histoires sur les Inuits et sur nos origines. Nous avons raconté des histoires sur Kiviuq, le plus grand personnage de la légende inuit, qui a été la première personne sur Terre et qui est toujours parmi nous aujourd’hui (comme la forêt sur l’île Axel Heiberg). Nous avons monté une pièce de théâtre sur l’arrivée de Martin Frobisher et sur les luttes que nous avons menées pour parvenir à cet événement capital qu’est la mise en œuvre de l’Accord du Nunavut. Des feux d’artifice ont été tirés dans le ciel d’Iqaluit. C’était effectivement un moment pour célébrer.

Une fois les festivités terminées, nous avons eu le temps de respirer et de faire le point sur notre nouveau statut au sein de notre pays, le Canada. Cela donne à réfléchir, de savoir que nous avons parcouru un long chemin et que nous sommes arrivés à ce stade, pratiquement indemnes. Nous avons parlé notre langue. Nous avons raconté nos histoires. Même si beaucoup d’entre nous avaient (et ont toujours) des réserves sur les détails de l’Accord du Nunavut, nous avons ressenti une nouvelle fierté d’être des Inuits dans notre propre patrie.

Et de petites choses ont commencé à se produire. Simon Alaittuq, directeur de l’école Leo Ussak à Rankin Inlet, a déclaré : « À partir d’aujourd’hui, chaque élève de cette école sera appelé par son nom inuktitut. » Cette petite décision a permis aux enfants de se parler dans leur propre langue. Je les ai entendus dans la cour de récréation, s’interpellant les uns les autres en inuktitut. Le moment était magique.

Quviasuqattaritti (qu’il y ait du bonheur dans vos vies).

Carte : Chris Brackley/Can Geo
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