People & Culture

Les protecteurs de l’Aqviqtuuq

La pointe nord du Canada continental est un paradis pour les caribous, les ours polaires et les ombles chevaliers, qui n’a pas encore été perturbé par l’exploitation minière. Les habitants de Taloyoak, au Nunavut, se battent pour que les choses demeurent ainsi.

  • Published Jul 19, 2024
  • Updated Dec 18
  • 3,506 words
  • 15 minutes
  • Par Thomas Lundy
  • Photographie by Emina Ida
[ Available in English ] [ ᐃᓄᒃᑎᑐᑦ ᐊᑐᐃᓐᓇᐅᔪᖅ ]
Le soleil se lève sur les maisons de Taloyoak, au Nunavut.
Expand Image
Advertisement
Advertisement
Advertisement

SORTANT DE SON BUREAU et traversant les douces lumières dorées d’un après-midi d’octobre dans la communauté la plus septentrionale du Canada continental, Jimmy Ullikatalik, un Inuk d’âge moyen avec un rire à remplir une pièce, traîne une lourde caisse en bois au-delà du seuil et sur le sol gelé. On entend un craquement sourd lorsque le contreplaqué s’enfonce dans la neige.

« C’est un lance-grenades, » dit en souriant le directeur de l’association Taloyoak Umarulirijigut (umarulirijigut signifie « connexions entre l’environnement et la faune »).

Neige sur la banquise.
Expand Image

Plus exactement, il s’agit d’un fusil à harpon à pointe de grenade, transporté depuis Yellowknife en août par les collègues d’Ullikatalik après que le petit hameau inuit de Taloyoak s’est vu accorder par le Kitikmeot Regional Wildlife Board (La Commission régionale de la Faune de Kitikmeot) un permis de chasse à l’arvik (baleine boréale) – l’un des cinq permis attribués chaque année au territoire du Nunavut par le ministère des Pêches et des Océans du Canada. L’arme est renvoyée à Yellowknife par le prochain avion.

Les chasseurs étaient partis en bateau un matin de la mi-août, déployant des sonars en divers points de la côte du détroit de James Ross pour surveiller l’activité des baleines. Si les outils de chasse ont évolué, le résultat est resté le même : une baleine boréale, découpée et distribuée avec expertise, et environ 50 000 kilogrammes de nourriture, de carburant et de matériaux d’artisanat pour aider à faire vivre toute la communauté pendant l’année suivante. Chaque tissu de l’arvik est utilisé, explique Ullikatalik.

Peu après, le succès de la chasse a fait l’objet d’une annonce sur la page Facebook de la Taloyoak Umarulirijigut Association. La viande et le lard étaient désormais disponibles dans le congélateur de la communauté pour tous ceux qui en faisaient la demande, la priorité étant bien sûr donnée aux aînés, comme c’est toujours le cas dans ces régions.

Tandis qu’Ullikatalik raconte l’histoire de la chasse réussie de cette saison, d’autres chasseurs passent en skidoo, fusils en bandoulière. Le mois d’octobre marque la fin de la migration automnale des caribous, et les habitants de la région sont impatients d’attraper les derniers retardataires du troupeau de caribous d’Ahiak, alors que les animaux regagnent les landes et la forêt boréale au nord du Grand lac des Esclaves depuis leur aire de mise bas estivale, près de Taloyoak. Ullikatalik se détourne de la baleine pour mentionner que les Inuits laissent souvent les bois des caribous là où ils tombent, en signe de respect et de gratitude envers l’animal qui les a nourris pendant des milliers d’années.

Le hameau lui-même est un ensemble de maisons à un ou deux étages aux couleurs vives qui surplombent une baie d’un bleu-gris profond. Environ 1 000 personnes y vivent aujourd’hui, ainsi que 2 000 ours polaires qui arpentent les environs. Il n’y a pas de route ; pour la plupart des gens, le seul moyen d’entrer ou de sortir est un vol quotidien avec Canadian North – une « tournée de laitier » qui s’arrête dans les hameaux relativement proches de Cambridge Bay, Kugaaruk et Gjoa Haven – à moins que les conditions météorologiques ne permettent pas à l’avion d’atterrir. Pour les habitants prêts à braver le blizzard et les ours, un trajet de 150 kilomètres en skidoo jusqu’à Gjoa Haven (le plus proche des trois) est possible une fois que la banquise s’est formée.

Jimmy Ullikatalik, directeur de l’association Taloyoak Umarulirijigut, souhaite faire de la région une aire protégée et conservée par les Inuits.
Expand Image

La banquise n’est pas encore apparue, mais de minces croûtes de glace commencent à se former là où l’océan rencontre la terre et où la journée se limite à huit heures de glorieux crépuscule. Dans quelques semaines, l’hiver se refermera comme un étau, la glace scellera l’océan et le soleil plongera sous l’horizon pour la dernière fois, laissant le ciel pratiquement noir jusqu’au printemps – à l’exception d’une aurore boréale qui dansera occasionnellement dans la nuit. Les glapissements des chiots husky aux yeux bleus percent l’air froid.

Taloyoak (ᑕᓗᕐᔪᐊᖅ, qui signifie « nombreuses caches de chasse ») est situé sur un étroit bras de mer sur la côte sud-ouest d’Aqviqtuuq. Le territoire, d’une superficie totale de 45 039 kilomètres carrés, s’avance vers le nord comme un gigantesque doigt tendu. « À partir d’ici, il n’y a que des îles, explique Ullikatalik, et toute la faune doit donc passer par là, par l’eau ou par la terre, au cours de sa migration.»

À quelques pas de la baie se trouvent les anciennes lignes de rochers qui ont donné leur nom à Taloyoak, placées là par les Inuits Netsilik qui ont habité la région de façon nomade pendant des millénaires. Elles formaient autrefois les caches de chasse utilisées pour diriger les caribous migrateurs vers la ligne de tir des archers qui les attendaient.

Le village de Taloyoak, quant à lui, a été fondé relativement récemment. Il s’est établi en 1949 après que deux hommes inuits – tous deux arrière-grands-parents d’Ullikatalik – eurent recommandé l’endroit à la Compagnie de la Baie d’Hudson comme poste de traite en raison de l’abondance de caribous dans la région. Les liens avec cette terre sont profonds. « Je suis né ici, je suis allé à l’école ici et j’ai vécu toute ma vie ici, déclare Ullikatalik. Notre mode de vie est sacré pour nous. C’est notre identité. »

Expand Image

Les sentiments d’Ullikatalik pour son village se retrouvent dans toute la communauté, transmis par les générations précédentes qui, dit-il, « ont mis Taloyoak sur la carte pour que je puisse vivre ici ». Mais lorsqu’il essaie d’imaginer ses arrière-petits-enfants profitant de la terre de la même manière que lui, le doute s’installe dans son esprit. Depuis 50 ans, ce paradis du bœuf musqué, de l’ours polaire, du renard, du phoque, de la baleine et de l’omble chevalier est de plus en plus menacé. L’amincissement de la glace du passage du Nord-Ouest, situé à proximité, signifie que le transport maritime va s’intensifier, ce qui risque de perturber la faune et de provoquer des déversements d’hydrocarbures. L’industrie minière convoite également la péninsule et possède déjà 19 concessions minières, notamment pour le diamant. Alors que les compagnies minières promettent aux habitants une voie rapide vers la prospérité, Ullikatalik affirme qu’elles oublient commodément les coûts sociaux, culturels et environnementaux potentiels.

« Quand je regarde le Canada, et le monde entier, et que je vois les effets de l’exploitation minière sur l’environnement, dit Ullikatalik, et que j’entends les histoires de nos cousins du Sud qui ne peuvent pas boire leur eau parce qu’elle est contaminée… nous ne voulons pas que cela nous arrive, à nous et à nos caribous. “

Mais à côté de l’inquiétude, se manifeste aussi la détermination. Ullikatalik et ses collègues de l’association Taloyoak Umarulirijigut ont un plan : l’aire protégée et conservée inuite d’Aqviqtuuq, le premier modèle de conservation inuit de ce type au monde. La zone proposée englobe toute la péninsule d’Aqviqtuuq, soit quelque 90 000 kilomètres carrés d’écosystèmes marins, terrestres et d’eau douce qui seront patrouillés à temps plein par des Gardiens (Hapumiyiit en inuktitut) chargés de surveiller la santé de la terre et de la faune tout en assurant le remplissage du congélateur de la communauté.

« Notre terre et nos caribous sont en bonne santé à l’heure actuelle, déclare Ullikatalik en haussant le ton. Nous voulons que ça reste comme ça ».

La création de l’aire protégée et conservée Inuit d’Aqviqtuuq remonte à 1972, lorsque Panarctic Oils, Ltd. – une coentreprise composée de sociétés productrices d’énergie telles que Imperial Oil, Gulf Canada Resources et d’autres, découvre du gaz naturel dans l’archipel arctique canadien. Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien de l’époque, Jean Chrétien, a proposé un gazoduc qui traverserait Aqviqtuuq depuis l’île Cornwallis, à 400 kilomètres au nord, jusqu’au sud de l’Alberta. Le gouvernement n’ayant pas consulté la communauté, les anciens de Taloyoak ont commencé à se réunir dans leurs maisons tous les soirs pour trouver un moyen d’empêcher la construction du gazoduc.

George Aklah, vice-président de la ATU, profite de sa cabane tandis que sa petite-fille, Dolly, jette un coup d’œil par la fenêtre.
Expand Image

Pour ceux qui proposaient le gazoduc, Aqviqtuuq ressemblait tout simplement à une immense étendue de terre inutilisée. Quelle différence ferait un seul pipeline ? Les anciens savaient que ce n’était pas le cas. Si l’on considère les six rivières à ombles de la péninsule, les caribous, les ours polaires, les oiseaux migrateurs, les loups et bien d’autres espèces qui vivent ici ou qui s’y rendent, souvent pour donner naissance à leur progéniture, Aqviqtuuq commence soudain à paraître beaucoup plus petit. À Resolute, les anciens ont exprimé leur conviction qu’il n’y avait pas de place pour l’activité industrielle. Contre toute attente, le projet de pipeline a finalement été abandonné dans les années 80, en partie grâce à la pression politique que la communauté a contribué à créer, ainsi qu’aux obstacles réglementaires et aux fluctuations du marché de l’énergie. Selon Ullikatalik, la détermination des anciens qui a permis d’empêcher la construction du gazoduc à l’époque continue d’inspirer ceux qui se battent aujourd’hui. « Nous pensons que nous avons le privilège de protéger Aqviqtuuq aujourd’hui en l’honneur de ces personnes de 1972, » déclare-t-il.

L’espoir d’une protection d’Aqviqtuuq est demeuré vivant dans la communauté au cours des décennies suivantes, mais sans qu’il y ait de voie ou de mécanisme clair pour y parvenir. En 2015, les gouvernements régionaux et territoriaux – dont certains sont favorables au développement minier – ont rejeté les propositions de gestion des terres de la communauté en vue de la création d’une zone protégée, et le processus s’est retrouvé dans une impasse. Ayant l’impression de ne pas être entendue, l’association Taloyoak Umarulirijigut s’est tournée vers le Fonds mondial pour la nature.

Emina Ida et Brandon Laforest, respectivement spécialiste associée et spécialiste principal des habitats résilients de l’Arctique pour le WWF, visitent Taloyoak et apportent leur expertise au projet Aqviqtuuq depuis lors. Ida décrit le rôle du WWF comme étant un rôle de soutien : trouver des bailleurs de fonds potentiels pour soutenir l’aire protégée et conservée inuite d’Aqviqtuuq, obtenir le soutien des parties prenantes de la région et aider l’association à ventiler sa vision globale pour cette péninsule en objectifs échelonnés et plus faciles à atteindre. « C’est vraiment eux, dit Ida. Nous suivons simplement leur leadership et nous nous assurons que nous franchissons ces étapes, ces échéances, qui permettront à l’aire protégée de voir le jour. »

Les gardiens aînés John Neeveacheak (à gauche) et Raymond Mannilaq (à droite) immergent des dispositifs de prélèvement d’échantillons marins.
Expand Image

Avec le soutien du WWF, l’association Taloyoak Umarulirijigut a commencé à enregistrer des résultats tangibles. En 2021, Taloyoak a remporté un prix d’inspiration arctique de 451 000 dollars, une subvention financée « par le Nord et pour le Nord » qui fournit un capital de départ à 12 projets communautaires par an. Le projet lauréat de la ville, appelé Niqihaqut (qui signifie « notre nourriture »), bien que distinct du projet Aqviqtuuq, est devenu inextricablement lié à la zone protégée proposée. En son centre se trouve une installation de découpe et d’emballage d’aliments traditionnels. L’installation d’une usine sur le site pour transformer les aliments traditionnels inuits provenant du territoire, notamment le caribou, le béluga, le phoque annelé et l’omble, contribuerait à résoudre l’un des plus grands problèmes auxquels sont confrontés les habitants de Taloyoak : l’insécurité alimentaire.

« Même si nous sommes des Inuits, nous n’avons pas toujours accès à de la nourriture traditionnelle », déclare Ullikatalik d’un ton sombre. Bien que la faune soit abondante, l’équipement de chasse coûte de plus en plus cher. Et les chasseurs qui se rendent sur le terrain ont remarqué que le changement climatique modifie le paysage. L’amincissement de la glace rend la chasse plus dangereuse, et les bœufs musqués, qui ne passaient pas beaucoup de temps sur Aqviqtuuq, sont maintenant trop nombreux et repoussent les caribous.

Advertisement
Un coucher de soleil sur l'océan Arctique.
Expand Image

Ceux qui ne peuvent pas aller sur le terrain – les aînés, les familles monoparentales et les familles à faible revenu – sont souvent contraints de se tourner vers le magasin local, dont les prix sont très élevés. Selon le dernier rapport de Nutrition North Canada en 2021, le coût mensuel de l’alimentation d’une famille de quatre personnes à Taloyoak s’élevait à 1 962 $. À titre de comparaison, Statistique Canada estimait alors à 819 $ les dépenses alimentaires mensuelles moyennes des ménages ontariens. Ullikatalik simplifie les choses : « Ça coûte un bras et une jambe ».

Pour boucler leur budget, les gens optent pour des plats transformés moins chers, souvent riches en calories, en matières grasses, en sucre et en sodium. Leur santé s’en ressent. « Aujourd’hui, de nombreuses personnes souffrent de diabète parce qu’elles n’ont pas accès à la nourriture traditionnelle. La nourriture traditionnelle est notre nourriture naturelle. Elle nous est donnée depuis notre naissance et si nous la consommons davantage, nous serons en meilleure santé », explique M. Ullikatalik.

L’objectif ultime des projets Aqviqtuuq et Niqihaqut est de créer à Taloyoak une économie bleue de la conservation – qui encourage la conservation des océans en tant qu’opportunité de croissance – axée sur la consommation locale, plutôt que sur les gouvernements et les entreprises du sud qui poussent à l’importation d’aliments transformés coûteux.

« Notre terre et nos caribous sont en bonne santé à l’heure actuelle. Nous voulons que ça reste comme ça ».

On pousse fort pour briser un gros morceau de glace, qui sera récolté et ramené pour que les aînés puissent faire du thé.
Expand Image

Comparé aux systèmes agricoles du sud, Ullikatalik appelle la faune d’Aqviqtuuq son « bétail ». L’installation de découpe et d’emballage permettrait à Taloyoak de rassembler, de préparer, d’entreposer et de distribuer correctement les aliments provenant de ce cheptel dans des proportions plus importantes. Elle pourrait également jouer un rôle dans la gestion de la faune. L’usine permettra à l’association Taloyoak Umarulirijigut de chasser les bœufs musqués en surpopulation jusqu’à ce que leur nombre soit plus équilibré, ce qui réduira la pression sur les caribous d’Aqviqtuuq. Grâce à cet apport supplémentaire de viande, l’association pourra vendre son produit aux habitants de Taloyoak et à d’autres communautés du Nunavut à un prix raisonnable – et même, à long terme, dans le sud. Une fois l’usine construite (la communauté souhaite qu’elle soit achevée cet automne), l’association pense qu’elle générera 1,9 million de dollars de revenus annuels, qui seront réinvestis dans des programmes culturels pour la communauté, et qu’elle créera des emplois locaux, pertinents sur le plan culturel.

Et puis il y a les « anges gardiens ». « C’est ainsi que les gens d’ici appellent les Gardiens », dit Ullikatalik en riant.

Les gardiens sont les yeux et les oreilles du projet Aqviqtuuq, une équipe de cinq habitants, dirigée par l’ancien lieutenant des Rangers canadiens Abel Aqqaq. Ils patrouillent quotidiennement sur les terres et dans les eaux d’Aqviqtuuq, gèrent un programme de surveillance marine financé par le MPO et recueillent des données de base sur la biodiversité et l’abondance des espèces marines en prévision de l’augmentation de l’activité maritime. Ils surveillent les populations de caribous afin de mieux étayer le plan d’exploitation durable de Niqihaqut. Et, ce qui est peut-être le plus important, ils chassent et rapportent de la nourriture traditionnelle à la communauté.

Emina Ida, spécialiste associée au WWF-Canada.
Expand Image

Le financement fédéral du projet des gardiens est arrivé en 2022, une autre étape importante que l’association Taloyoak Umarulirijigut a complétée ces dernières années. Les programmes de gardiens autochtones, établis pour la première fois en 2017 et en place dans environ 80 communautés autochtones au Canada, fournissent une base de financement stable pour les initiatives communautaires axées sur la gestion de l’environnement, la récolte durable, la pêche à petite échelle et le tourisme. Aqviqtuuq n’est pas différente. Le Smart Prosperity Institute de l’Université d’Ottawa, qui s’efforce de proposer des politiques et des solutions pour une économie plus forte et plus propre, estime que le programme Aviqtuuq Guardians a généré jusqu’à présent 12 millions de dollars en cobénéfices pour la communauté et créé des opportunités d’emploi d’une valeur de 1,3 million de dollars par an.

Pour Aqqaq et son équipe, les avantages d’être un gardien vont bien au-delà des compensations monétaires. Ils ont tout simplement un travail de rêve pour lequel ils remercient chaque jour l’association – une chance d’être sur le terrain et d’aider leur communauté. « Dans presque toutes les communautés, il y a des aînés qui ne peuvent pas sortir pour chasser eux-mêmes, » explique Aqqaq dans une vidéo produite par ArctiConnexion, une organisation à but non lucratif qui soutient les projets de recherche scientifique de l’association. « Nous chassons donc pour eux, pour la communauté. »

Pour Aqqaq, le programme est également un outil précieux qui permet à la prochaine génération d’Inuits de rester en contact avec leur culture. En plus d’employer des Gardiens à temps plein, ils embauchent également des jeunes gardiens à temps partiel. « Ces jeunes ont grandi avec des parents qui partaient tout le temps à la chasse, explique-t-il. On leur a appris à chasser et à survivre sur le terrain. Ces jeunes garçons sont respectueux, il est facile de travailler avec eux et ils veulent apprendre. »

Les aînés discutent en dégustant une sélection de produits frais du terroir.
Expand Image

Pour Aqqaq, l’essentiel est de voir que les jeunes qui participent au programme sont heureux.

Roger Oleekatalik est l’un de ces jeunes. Le petit-fils de Jimmy Ullikatalik est assis dans la bibliothèque de l’école Netsilik, à deux pas du bureau de l’association Taloyoak Umarulirijigut de son grand-père. Il est en train de manger une assiette de poumons, d’estomac et de graisse de caribou congelés. Grand et large d’épaules, il est sur le point d’obtenir son diplôme et affiche un air calme et mature qui n’a rien à voir avec l’ambiance animée de l’école. Oleekatalik est l’un de ceux qui ont eu la chance d’être un jeune gardien d’Aqviqtuuq. « Notre paix est dans l’immensité. Nous nous y sommes adaptés, explique-t-il. Nous sommes tellement habitués à être dans le territoire. Nous aimons tellement cela que parfois nous ne voulons même pas rentrer chez nous.»

Ses yeux s’illuminent lorsqu’il décrit sa première chasse au caribou en tant que jeune garçon : la poursuite en skidoo, son père tenant fermement la carabine et l’appelant pour appuyer sur la gâchette pour le tir final, les célébrations qui ont suivi avec un repas de caribou congelé et la joie sur les visages des aînés lorsqu’il a partagé sa prise avec eux. Cette histoire présente des similitudes remarquables avec celle que son grand-père a racontée à propos de sa première chasse.

« Le caribou est notre nourriture spirituelle, » dit Oleekatalik en souriant.

L’année précédente, le jour de son 17e anniversaire, Oleekatalik a chassé son premier ours polaire sur la banquise. En décrivant cette chasse, il fait preuve d’une compréhension intime des comportements de l’animal grâce à des connaissances transmises de génération en génération. Il parle de la tactique de l’ours polaire qui consiste à faire le mort lorsqu’il est frappé pour ensuite bondir avec férocité lorsque son assaillant est à portée de main, et décrit l’angle d’approche à adopter pour vérifier en toute sécurité la possibilité de telles ruses. C’était un rite de passage pour lui, un garçon sur le point de devenir un homme, un Inuk qui, grâce aux enseignements de son grand-père et de son père et à son rôle de jeune Gardien, a acquis les compétences nécessaires pour perpétuer l’héritage de son peuple en tant que protecteur d’Aqviqtuuq.

Les maisons de Taloyoak, au Nunavut..
Expand Image

À son âge, Ullikatalik ne sort plus sur le territoire, si ce n’est pour se rendre régulièrement à la cabane qu’il a construite il y a des années au bord du lac Middle – c’est là qu’il a grandi en pêchant l’omble et la truite dans la cabane de ses parents et qu’Oleekatalik a récemment construit sa propre cabane. Les garçons d’Ullikatalik ont atteint l’âge adulte et s’occupent de la chasse pour la famille, tandis que les Gardiens s’occupent de l’intendance de la terre au nom de la communauté. Mais son travail l’a mené loin, jusqu’à Glasgow, au Royaume-Uni, en 2021, où Ullikatalik a pris la parole lors de la COP26 (la conférence des Nations unies sur le changement climatique) pour parler des conséquences du changement climatique sur sa communauté. Depuis la découverte (avec bonheur) du haggis jusqu’aux vols transatlantiques, en passant par les discussions sur Aqviqtuuq avec Steven Guilbeault, ministre canadien de l’Environnement et du changement climatique, ce voyage est devenu un souvenir impérissable.

Une sélection de produits frais du terroir, dont (à gauche) du caribou cru, de l’omble chevalier séché (piffi) et de la graisse de narval (muqtaaq).
Expand Image

Pourtant, ce qui fait battre son cœur, c’est de parler de ses souvenirs de Taloyoak, de l’aire protégée et conservée inuite d’Aqviqtuuq, ainsi que de ses espoirs et de ses rêves pour l’avenir.

« Nous sommes fiers d’être Canadiens, déclare Ullikatalik. Nous voulons simplement ajouter aux richesses du Canada un endroit qui n’a jamais été perturbé. »

« J’ai toujours dit, depuis que je voyage dans le monde entier, que si je pouvais faire ce que je voulais, je ne quitterais jamais cet endroit. Chaque lieu de chasse, chaque endroit où l’on attrape du poisson est différent. Chacun a une signification particulière. C’est peut-être l’endroit où vous avez attrapé votre premier gibier ou l’endroit où votre grand-père ou votre grand-mère vous a enseigné. » 

L’aire protégée et conservée inuite d’Aqviqtuuq devrait être créée en 2030, selon l’échéance que s’est imposé le gouvernement canadien pour conserver 30 % des terres et des eaux du pays.  

Et s’ils y parviennent, quelle contribution une Aqviqtuuq préservée apporterait. Pour le Canada, pour le monde, pour le Nunavut et, surtout, pour les habitants de Taloyoak, qui vivent sur cette péninsule depuis des milliers d’années et qui ont l’intention d’y rester encore des milliers d’années.

Advertisement

Help us tell Canada’s story

You can support Canadian Geographic in 3 ways:

Related Content

People & Culture

Protectors of Aqviqtuuq

The northern tip of mainland Canada is a paradise of caribou, polar bears and Arctic char as yet undisturbed by mining. The residents of Taloyoak, Nunavut, are fighting to keep it that way.

  • 3069 words
  • 13 minutes
Women in Nunavut running across a snow-covered field towards the camera

History

Throwback Thursday: Nunavut up and running

On April 1, 1999, Canada’s youngest population took control of its largest territory. Here’s how Canadian Geographic covered the story. 

  • 2880 words
  • 12 minutes

People & Culture

Passing the Mic, Part 2 — Taloyoak throat singers and hunters

Episode 76

In the second of three episodes from Taloyoak, Nunavut, podcast host David McGuffin speaks with young throat singers Joyce Ashevak and Martha Neeveacheak, as well as their classmate, hunter Roger Oleekatalik

  • 27 minutes

People & Culture

Passing the Mic, Part 3 — The students of Netsilik School, Taloyoak, Nunavut

Episode 77

Inuit youth from Canada’s most northerly community share their stories using their own voices and words

  • 18 minutes
Advertisement
Advertisement