History

50 ans de multiculturalisme: quand les expériences vécues font l’histoire

Dora Nipp, directrice générale de la Multicultural History Society of Ontario, réfléchit à l’importance de consigner les histoires des migrants, des communautés ethniques et des Autochtones comme moyen essentiel de comprendre le Canada au XXe siècle et au-delà

  • Published Oct 06, 2021
  • Updated Jul 02, 2024
  • 1,298 words
  • 6 minutes
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Le 8 octobre 1971, le premier ministre Trudeau annonçait que le multiculturalisme devenait une politique officielle du gouvernement. À l’occasion du 50e anniversaire de cette annonce, Canadian Geographic publie cinq essais de réflexion sur ce thème. La série fait partie de Commémorons le Canada, un programme du ministère du Patrimoine canadien visant à souligner les anniversaires canadiens importants. Elle donne au Canadian Geographic l’occasion d’examiner ces moments de l’histoire d’un ?il tantôt critique, tantôt commémoratif.


Je suis associée à la Multicultural History Society of Ontario depuis 40 ans. La MHSO est un centre sans but lucratif géré par des bénévoles qui a rassemblé une vaste collection de documents sur les expériences des migrants, des communautés ethniques et des Autochtones. Je suis arrivée à la MHSO en tant qu’étudiante. Quelques décennies plus tard, je suis toujours bénévole à la MHSO, maintenant à titre de PDG.

La MHSO était en avance sur son temps. Alors que le concept de Canada multiculturel n’en était qu’à ses balbutiements, la MHSO a entrepris d’aider les autres à connaitre, comprendre et apprécier les nombreuses facettes de ce que signifie être « Canadien/ne ». Pour ce faire, elle a acquis une expérience pratique en matière d’histoire, de recherche, d’éducation et de publication multiethniques et multiraciales.

Des militaires noirs de l'Aviation Royale canadienne à la cantine du service intérieur, Toronto, 1943. (Photo gracieuseté d'Evelyn Turner)
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J’ai toujours été curieuse de connaitre mon ascendance familiale – qui sont-ils, d’où sommes nous partis, quand nous sommes-nous installés ici, à quoi ressemblait la vie d’alors? Une famille de pionniers chinois, qui a participé à la construction du chemin de fer du Canadien Pacifique et qui a payé la taxe de capitation, aurait-elle pu envisager une famille élargie comprenant des descendants finlandais, ukrainiens, hongrois, autochtones, philippins, néerlandais, allemands, noirs, britanniques, irlandais, écossais ou juifs? Alors que je grandissais dans le nord de la Colombie-Britannique, c’est la famille que je connaissais.

Pour en connaitre davantage sur les dimensions multiethniques, raciales et culturelles de ma famille, j’ai étudié avec Robert F. Harney, historien des communautés ethniques et des migrations à l’Université de Toronto. En entrant dans le foyer de la grande demeure victorienne où il donnait ses cours et qui abritait la MHSO, je n’avais aucune idée du rôle essentiel que la MHSO jouerait dans la formation de ma vision du monde et dans mon cheminement sur le terrain du multiculturalisme.

En 1976, neuf ans avant la promulgation de la Loi sur le multiculturalisme canadien (la loi de 1985 était un résultat direct de l’énoncé de politique de Trudeau), Harney, ainsi que les professeurs Milton Israel, Frank Iacobucci (qui deviendra plus tard juge à la Cour suprême du Canada), Harold Troper et d’autres collègues ont fondé la MHSO. Ce groupe de visionnaires était convaincu que la chronique des histoires des migrants, des communautés ethniques et des Autochtones était essentielle pour comprendre le Canada au XXe siècle et au-delà.

Le MHSO reconnaissait que l’écriture et l’archivage audiovisuel de l’histoire pouvaient être aussi variés et englobants que la vie quotidienne des gens. Harney, son dirigeant académique, a noté que les archives historiques des migrants eux-mêmes présentaient «… une chance de redonner une articulation à des gens qui avaient été articulés en leur temps, mais qui, sans qu’il y ait eu faute de leur part, avaient été perdus pour l’histoire et leurs descendants parce qu’il n’y avait pas assez d’intérêt pour préserver ces archives qui pouvaient leur redonner une importance dans notre histoire ».

Le 25e anniversaire de la Société italo-canadienne, Toronto, 25 avril 1944. MHSO- ITA-204046-4394.tif.
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La MHSO a recherché ces voix en formant des étudiants et des ethnographes communautaires à la réalisation d’histoires orales. L’organisation a peut-être commencé par rassembler des sources secondaires telles que des documents gouvernementaux standard et des journaux anglophones, mais ce sont les souvenirs personnels, les photographies et les enregistrements qui se sont avérés inestimables pour remplir – ou enrichir – les espaces vides de la page écrite.

La Société d’histoire muticulturelle d’Ontario considérait que son rôle était d’encourager et d’améliorer l’apprentissage multiculturel en favorisant et en améliorant l’étude de tous les groupes ethno-raciaux et des peuples autochtones en recueillant leurs documents d’archives, leurs imprimés et leurs histoires orales, et en prenant des dispositions pour les conserver et les rendre accessibles. Chacun des étudiants de M. Harney a contribué à enrichir l’histoire d’un groupe de migrants au Canada, notamment les Arméniens, les Polonais, les Irlandais, les Ukrainiens, les Juifs, les Italiens, les Mennonites, les Japonais, les Finlandais, les Chinois, les Hongrois et bien d’autres. Ses travaux dirigés constituaient un cours de maître sur la diversité.

Quand mon tour fut venu, Harney m’a équipée d’un magnétophone à cassette, comme on en utilisait à l’époque, et m’a envoyée dans la communauté pour recueillir ses histoires. « Parlez aux gens, » m’a-t-il dit. Je me suis donc rendue dans les quartiers chinois de Toronto, Victoria et Vancouver à la recherche de voix authentiques. Les voix qui se sont exprimées ont permis une compréhension plus complète, plus texturée et plus riche de périodes, de lieux et d’événements spécifiques. Plus important encore, ces voix ont permis de mieux comprendre les expériences vécues par les intervenants. Au lieu de considérer le passé à travers le prisme étroit d’une législation raciste ou de rapports biaisés, nous avons exploré la réponse de la communauté à ce qui lui était imposé. Nous avons entendu comment ils se sont organisés, ont fait pression, ont collecté des fonds et ont protesté; nous avons suivi comment la génération née au Canada s’est débrouillée avec les mesures restrictives en matière d’emploi et de logement, a créé des associations d’aide mutuelle et s’est battue pour entrer dans les universités; nous nous sommes plongés dans les perspectives, les opinions et la participation de la communauté à des événements locaux, nationaux et internationaux tels que la Seconde Guerre mondiale. Nous avons été invités à devenir témoins contemporains des moments historiques importants que les narrateurs ont racontés. Ceux-ci couvraient un large éventail de sujets – du travail à l’éducation, en passant par le théâtre, la presse, la pratique religieuse, les sports, la famille et la justice sociale. Ce sont les ingrédients qui constituent une nation composée de nombreux peuples, croyances et cultures.

Les enfants Ling dans la ferme familiale, Halifax, vers 1938. (Photo reproduite avec l'aimable autorisation de Mary Ling Mohammed)
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La vision et la mission de la Multicultural History Society sont d’une grande portée. Simplement dit :

« La Multicultural History Society aspire à une société solidaire dans laquelle les Canadien/nes disposent des outils nécessaires pour éradiquer les clichés, les stéréotypes et les préjugés de nos lieux d’apprentissage, de travail, de culte et de loisirs. Elle considère qu’elle a un rôle à jouer pour aider les citoyens du Canada à apprendre à vivre ensemble dans une société pluraliste, et elle s’efforce de développer et de soutenir un environnement dans lequel tous les citoyens du pays peuvent coexister dans une aspiration d’égalité. […] La MHSO espère inculquer une appréciation de nos histoires communes à tous les Canadien/nes, quelles que soient leurs origines, et faire valoir l’idée que la diversité a profondément contribué au développement sociétal et économique du pays. »

Dans le cadre de cette mission, des universitaires et des ethnographes étudiants et communautaires ont aidé le MHSO à amasser une collection de plusieurs milliers d’heures de témoignages oraux représentant quelque 60 groupes ethno-raciaux et culturels et des communautés autochtones. Plus de 80 000 photographies ont été recueillies, représentant 280 municipalités de l’Ontario. D’autres sources linguistiques ont été ajoutées sous la forme de journaux, de périodiques et de brochures associés à des communautés ethniques (certains datant du 19e siècle).

Notre avenir repose sur la connaissance du passé. « Si vous voulez savoir qui vous êtes et où vous allez, vous devez savoir d’où vous venez. » Pour vraiment comprendre les expériences de ceux qui composent le Canada, il est important d’entendre les histoires de migration et de colonisation, ainsi que les espoirs et les préoccupations de tout le monde.

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