Au Canada, où il ne bénéficie pas encore de l’affection et de l’estime considérables dont jouissait sa mère à son décès, il doit s’en tenir aux causes qu’il a toujours défendues, que ce soit directement par la Fondation du prince au Canada ou indirectement par l’intermédiaire des personnes et des lieux qu’il a défendus tout au long de son parcours qui s’étend sur des décennies, en tant que prince de Galles. Cependant, il doit désormais se montrer plus prudent dans ses déclarations, car les monarques constitutionnels doivent s’abstenir de toute allusion à un programme politique manifeste. Il a déjà démontré qu’il était prêt à respecter cette règle. Dans les jours qui ont suivi le décès d’Élisabeth II, il a assuré une transition sans faille.
Bon nombre de personnes au Canada ignorent que Charles est venu au pays plus souvent que tout autre membre de la famille royale, à l’exception de la défunte Reine, et qu’il a visité des destinations canadiennes beaucoup plus reculées que la plupart des gens au pays. Il a effectué sa première visite officielle il y a plus d’un demi-siècle, en 1970, alors qu’il n’avait que 21 ans. À l’occasion de cette tournée d’envergure, il est arrivé seul à Ottawa, puis a rejoint ses parents et sa jeune sœur, la princesse Anne, pour célébrer le centenaire de l’entrée du Manitoba dans la Confédération et pour se rendre dans le Nord, dans ce qui est aujourd’hui le Nunavut. Lors d’un second voyage, environ un an plus tard, il est retourné dans le Nord, qu’il adore, et a fait une plongée sous la glace vêtu d’une combinaison spécialisée, lui valant ainsi une certaine réputation d’« homme d’action ». Lors de ces premières visites, il y a 50 ans, il a impressionné les gens par son approche sans détour. Ces visites avaient même une dimension de realpolitik : renforcer la souveraineté du Canada sur l’Extrême-Arctique.
Les voyages subséquents, présentés comme un « retour au bercail » pour renforcer les efforts de canadianisation de la Couronne, ont mené Charles dans toutes les provinces et les grandes villes du Canada. Il a fait l’objet d’une couverture médiatique importante, à la limite de l’intrusion, lors de son premier mariage avec la princesse Diana. Il aurait probablement souhaité que sa vie privée reste davantage dans l’ombre, mais des époques différentes imposent des approches et des points de vue différents. Par exemple, au XIXe siècle, le célèbre analyste de la Constitution Walter Bagehot mettait en garde contre un éclairage excessif de la monarchie, car il pensait qu’une telle exposition diminuerait notre sentiment d’émerveillement et de déférence à l’égard de la royauté. « Le mystère anime la monarchie. Nous ne devons pas révéler cette magie au grand jour », écrivait-il.
Dans ses rêves les plus fous, Bagehot n’aurait jamais pu prévoir les projecteurs intenses qui seraient braqués sur l’institution de nos jours. Il n’aurait pas compris non plus comment l’ampleur actuelle de l’intrusion dans la vie du roi Charles et de sa famille servirait, ironiquement, à accroître la fascination pour la monarchie. Cette intrusion a aussi mis en évidence l’humanité du Roi, ce qui rend son travail sans relâche encore plus admirable.
Mais la persévérance est précisément la force de Charles Philip Arthur George. Lors de sa dernière visite au Canada, quelques mois avant le décès de sa mère l’année dernière, il a tenu à se pencher sur les questions autochtones et la réconciliation. Depuis sa jeune vie adulte dans les années 1960, Charles, en tant que prince de Galles, exhortait quiconque voulait l’entendre à essayer de comprendre que les voix autochtones portaient des messages fondamentaux pour le reste d’entre nous – des messages sur l’importance de ne pas spolier la terre, des messages sur le respect des liens de parenté et des valeurs communes, des messages sur le règlement des différends, des messages sur la reconnaissance et la réparation des iniquités du passé si nous voulons un avenir plus équitable. En raison de son ouverture à la discussion et à la réconciliation, il subira d’intenses pressions pour réparer les erreurs du passé, mais il ne donne aucune indication qu’il est réticent à le faire. En réalité, l’avènement de son règne à ce moment de l’histoire du Canada donne une nouvelle chance de modifier le cours des choses pour le meilleur.
Malgré tous les efforts qu’il a déployés sur ce front, sur les changements climatiques et sur une myriade d’autres questions, allant de l’architecture brutaliste et de la protection des campagnes au bien-être des animaux et aux cultures génétiquement modifiées, il a fait l’objet de très vives critiques. Pourtant, il faut reconnaître qu’il a très bien compris, dès son plus jeune âge, que s’il voulait changer les choses en raison du rôle que sa naissance lui conférait, il valait mieux qu’il agisse tout simplement. Comme il ne deviendrait pas roi avant longtemps, il lui appartenait de définir le rôle qu’il pourrait jouer en tant qu’héritier du trône. Une fois souverain, un carcan constitutionnel viendrait régir et tempérer tout ce qu’il dirait ou ferait. Il n’existe pas de manuel sur la façon d’être prince de Galles, mais de nombreux précédents sur ce qui aurait pu arriver s’il n’avait rien fait : les fils de George III, de la reine Victoria et de George V – qui portaient tous le titre de prince de Galles – constituent des exemples à ne pas suivre. Charles aurait pu gaspiller toutes ces années à attendre son couronnement, mais il ne l’a pas fait. Il a vécu assez longtemps pour voir nombre de ses causes devenir les nôtres.
Plus près de sa propre famille royale, il est clair depuis un certain temps qu’il a l’intention de limiter certains aspects de la monarchie, en commençant par réduire la taille de « The Firm », comme son défunt père, le prince Philip, appelait autrefois l’entreprise de la famille royale active.
Qu’en est-il de la reine consort? Tout comme le roi, elle travaille sans relâche et, comme lui, elle le fait remarquablement bien. Depuis la mort de la reine Élisabeth II, les projecteurs sont braqués sur leur couple et il est clair qu’ils sont à la hauteur de la tâche. Ils ont manifestement trouvé le moyen de s’entraider, et ce soutien mutuel sera essentiel dans les jours et les années à venir.
Au moment où j’écris cet article, Charles et Camilla viennent de terminer un remarquable premier voyage à l’étranger (en Allemagne). Le roi Charles III et son rôle actuel illustrent parfaitement la transformation du pouvoir autrefois immodéré de la monarchie en un modèle digne de pouvoir circonscrit et mis au service du peuple par l’intermédiaire des représentants élus au sein du Parlement. En réalité, l’impuissance est la meilleure carte à jouer pour le roi Charles, qui tente de déployer sa plateforme exceptionnelle pour nous inciter à nous responsabiliser davantage à l’égard du monde dans lequel nous vivons et que nous transmettrons à nos enfants.
Les atours de la monarchie, qui seront superbement exposés le jour du couronnement, ne sont que cela : des atours, pleins de souvenirs historiques et de fantaisies romantiques. Mais l’homme bon au cœur de ce théâtre est maintenant prêt à montrer au monde comment l’évolution de la royauté constitutionnelle peut renforcer et améliorer la structure de la démocratie. Je suppose qu’il s’agit d’une affaire mystérieuse, mais la population canadienne, avec son histoire propre, constitue un élément crucial de ce récit. Voilà pourquoi ce couronnement a une résonance si forte pour les personnes qui considèrent que la Couronne fait partie intégrante de notre histoire et de notre identité.
John Fraser est le président fondateur de l’Institut pour l’étude de la Couronne au Canada et l’auteur de The Secret of the Crown et de Death of a Queen.