Wildlife

Carcajou : sur la piste de l’insaisissable diable

Le héros joueur de tours – féroce, intelligent et puissant – devra faire preuve de toute son ingéniosité pour continuer à exister

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Un carcajou marche dans la neige.
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Dans la culture innue, le carcajou est « le trickster », le joueur de tours, le personnage central de nombreuses fables dramatiques. Parfois, le carcajou est un héros qui sauve des familles innues de cannibales vicieux ; d’autres fois, c’est un scélérat qui trompe à la fois les Innus et ses congénères. Dans un cas comme dans l’autre, on est certain de le retrouver au cœur des malversations.

La réalisatrice Christine Poker, originaire de la communauté innue de Natuashish, dans le nord du Labrador, a grandi en entendant, autour du poêle de la tente, des histoires sur le fourbe Kuekuatsheu, nom du carcajou dans sa langue, l’innu-aimun.

Pour les Innus, Kuekuatsheu est plus qu’un personnage d’une histoire, il fait presque partie de la communauté. Les anciens parlent encore de lui comme s’ils le connaissaient personnellement, comme s’ils avaient été eux-mêmes témoins de ses frasques. Poker se souvient que ses grands-parents lui racontaient comment Kuekuatsheu volait de la nourriture dans leur campement.

« Mes grands-parents m’ont dit que lorsque les Innus ont commencé à mourir et à quitter le pays [pour s’installer dans de plus grandes communautés], Kuekuatsheu est parti avec eux », explique-t-elle. Elle remarque que lorsqu’elle est dans sa communauté avec ses petits-enfants, ceux-ci sont moins intéressés par les histoires de carcajou. Mais tout change lorsqu’ils sont sur le territoire. Le soir, dans leur tente, les jeunes sont impatients d’entendre les histoires de Kuekuatsheu.

Il n’est pas difficile de déterminer d’où vient l’idée que le carcajou est un filou. Bien que solitaires, ces animaux sont également réputés pour leur curiosité et leur sournoiserie. Ils sont connus pour voler des appâts dans des pièges, saccager des cabanes et échapper aux chasseurs. Si vous apercevez un glouton dans la nature, considérez-vous chanceux : ils ont tendance à éviter les zones habitées, leur densité de population est extrêmement faible et ils sont surtout actifs du crépuscule à l’aube, lorsque la plupart des gens sont endormis. Bien qu’ils ressemblent à de petits ours aux jambes arquées et à la queue touffue, les carcajous sont en fait les plus grands membres de la famille des Mustélidés, qui comprend les belettes, les martres et les loutres. Les mâles adultes peuvent peser jusqu’à 14 kg et les femelles adultes jusqu’à 9 kg. Ils ont de petites oreilles, un nez court et des dents pointues, ainsi que des griffes acérées semi-rétractables. Ils sont également connus pour leur férocité, leur aboiement étant à la hauteur de leur morsure. Leur grognement peut être décrit comme un croisement entre le rugissement d’un lion et le moteur d’un petit avion. C’est un son surprenant à entendre lorsque vous vous promenez seul dans les bois et il contribue sans aucun doute à la mythologie de la créature.

Si vous apercevez un glouton dans la nature, considérez-vous chanceux – ils fuient les humains.

Une famille de carcajous marche sur le sol enneigé.
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Les carcajous jouent un rôle de généraliste dans leur écosystème et mangent à peu près n’importe quoi, des baies et de la végétation à la viande et à la charogne. Ils chassent les petits animaux – leur repas préféré est le castor – mais ils sont souvent charognards, mangeant les restes d’animaux plus grands comme les orignaux et les caribous tués par les loups. Cependant, il existe également des témoignages vérifiés de carcajous tuant de grands ongulés tels que des cerfs et des caribous en les traquant pendant de longues périodes, épuisant ainsi leur proie avant de passer à l’attaque.

L’une des plus grandes adaptations du carcajou à la survie est sa morsure ; les structures musculaires et osseuses de sa tête lui donnent une mâchoire puissante pour une si petite créature. Une molaire supérieure spéciale située à l’arrière de leur bouche est tournée de 90 degrés vers l’intérieur de la bouche, ce qui leur permet de broyer l’os pour atteindre la moelle qui s’y trouve. Ils n’ont aucun problème à déchirer de la chair congelée. Par conséquent, les excréments des carcajous sont faciles à identifier car ils sont remplis de fragments d’os.

Les carcajous sont actifs toute l’année, même si, comme la plupart des animaux de la forêt, ils sont plus silencieux en hiver. Ils se reproduisent au début de l’été et donnent naissance à un ou deux petits à la fin de l’hiver ou au début du printemps. Leur épaisse fourrure les protège du gel et du froid, et leurs larges pattes en forme de raquettes sont parfaitement adaptées pour se déplacer dans la neige épaisse. Ils ont besoin de cette épaisse couche de neige pour isoler leur tanière des conditions hivernales difficiles. Si ces adaptations sont importantes pour la survie du glouton, elles le rendent également vulnérable aux effets du réchauffement climatique.

Cette fourrure épaisse et chaude, qui évacue le gel, faisait autrefois du pelage de carcajou un produit recherché du commerce des fourrures en Amérique du Nord. Cette fourrure, utilisée pour garnir les capuchons des parkas, était très en demande et l’animal a fait l’objet d’un piégeage intensif. Les populations du sud du Canada ne se sont jamais complètement rétablies. En effet, alors que leur aire de répartition s’étendait autrefois sur une grande partie du sud du Canada, on les trouve aujourd’hui principalement dans les forêts boréales, les chaînes de montagnes et les toundras qui s’étendent sur une grande partie du Nord. Avec une moyenne de trois à dix individus pour un millier de kilomètres carrés, un seul carcajou peut contrôler un territoire de plusieurs centaines de kilomètres carrés, patrouillant chaque jour sur de grandes distances à la recherche de nourriture et pour repousser tout concurrent potentiel. Un carcajou mâle dominant ne partage son territoire qu’avec une ou deux femelles avec lesquelles il se reproduit.

Un carcajou en haut d'une cavité, sa face couverte de neige.
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Comme tous les animaux de la famille des mustélidés, les carcajous possèdent des glandes odorantes très performantes, qu’ils utilisent pour marquer leur territoire afin d’avertir leurs congénères qu’ils ne doivent pas s’en approcher. C’est pourquoi les jeunes carcajous, qui restent avec leur famille jusqu’à un an, parcourent souvent des centaines de kilomètres pour établir un territoire loin de leurs congénères.

On pensait autrefois que les carcajous vivaient en solitaire et ne se réunissaient que pour se reproduire pendant l’été. Bien que cela soit en grande partie vrai, les chercheurs qui utilisent des colliers GPS pour suivre les animaux ont découvert que les carcajous sont plus sociaux qu’on ne le pensait à l’origine.

Matthew Scrafford, écologiste à la Wildlife Conservation Society Canada, étudie les carcajous dans le nord de l’Ontario depuis plus de trois ans. Au cours de cette période, ses données GPS ont montré que les deux parents carcajous chassaient et cherchaient des charognes avec leur progéniture pendant plusieurs jours d’affilée. « Ils forment une unité familiale », explique M. Scrafford. « Ils apprennent les uns des autres et enseignent à leur progéniture. Avant l’arrivée des données GPS et des caméras, nous les considérions comme des solitaires – et c’est le cas – mais ils passent beaucoup de temps à errer en bandes dans le paysage.

Selon M. Scrafford, une population de carcajous en bonne santé est un bon indicateur d’un écosystème sain, car l’espèce a besoin d’une variété d’aliments provenant de vastes zones intactes de nature sauvage interconnectée – en d’autres termes, elle a besoin de nombreux types d’aliments et de beaucoup d’espace pour rôder.

« Nous avons constaté que, dans la mesure où ils peuvent supporter un certain développement humain, ce ne sont pas des espèces purement sauvages », explique M. Scrafford. « On trouve des carcajous dans des paysages aménagés et des paysages forestiers. Ils n’ont pas besoin d’une nature purement sauvage pour exister, bien qu’ils connaissent une faible densité et un faible taux de reproduction. Il faut donc surveiller ce qui se passe sur leur territoire, sinon ils risquent de disparaître. »

Aujourd’hui, la plus grande menace qui pèse sur le carcajou est la perte d’habitat et le développement humain. Les chercheurs collaborent avec les communautés autochtones du Nord pour suivre et surveiller les populations de carcajous afin de mieux comprendre comment leurs habitats sont affectés par l’empiètement de l’homme.

Le héros trickster – féroce, intelligent et puissant – aura besoin de toute son ingéniosité pour continuer à prospérer.

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